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qu’aucun scrupule de légalité : il craint avant tout, en punissant de mort les conjurés, qu’on l’accuse d’être cruel, et c’est bien ce qui montre chez lui, jusque dans le politique, l’homme de lettres et l’homme du monde. La société lettrée et polie de ce temps tenait surtout à paraître pénétrée de la civilisation grecque, et, parmi les vertus qu’elle s’attribuait, il n’y en avait pas dont elle fût plus fière que de celle qu’on appelait l’humanité, un beau nom, qui signifiait à la fois la douceur de lame et le savoir-vivre le plus élégant. Caton, qui était pourtant un homme bien élevé et un disciple des philosophes de la Grèce, s’irritait contre ces âmes tendres qui parlent de clémence et de pitié à propos d’un homme comme Lentulus. « Plaignez-le, disait-il ; je vous le conseille ! » Et il ajoutait : « Voilà longtemps que nous avons perdu l’habitude d’appeler les choses par leur nom. La clémence, quand il s’agit de vieux conspirateurs, qui ont usé leur vie dans les complots, est une duperie et une lâcheté. » Cicéron est plus timoré. Nous le voyons, dans tous les discours de ce temps, revenir avec une insistance singulière sur cette idée que la nature l’avait fait le plus doux des hommes et que, s’il est devenu sévère, c’est l’intérêt de la république qui l’a forcé de l’être. On voit bien qu’il ne veut pas qu’on puisse douter un moment de son humanité ; il serait inconsolable de passer pour un barbare. Or, en ce moment, il en court d’autant plus le risque que les sages de la Grèce savent surtout gré aux Romains d’avoir diminué l’atrocité des supplices. Polybe remarque qu’ils ont aboli la peine de mort en matière politique et leur en fait de grands complimens. « Il n’y a pas de nation au monde, dit avec fierté Tite-Live, qui en use avec plus de douceur que nous dans le châtiment des coupables. » Et justement il se trouve qu’un lettré, un disciple des Grecs, un philosophe nourri de leurs doctrines, qui devrait être plus humain que les autres, est amené par les circonstances à faire mourir des citoyens des meilleures familles de Rome. Cicéron craint que cette façon de se contredire ne lui fasse le plus grand tort auprès de ceux dont il tient le plus à être considéré. Aussi a-t-il fait tout son possible pour atténuer la rigueur des mesures qu’il était contraint de prendre. D’abord, elles n’atteindront que peu de personnes. Les coupables sont en grand nombre ; neuf seulement, les plus compromis, ceux qui devaient mettre le feu à Rome, seront poursuivis, et l’on peut soupçonner qu’on mit quelque négligence à s’assurer