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Il ne suffisait pas au Duc de Bourgogne de s’adonner ainsi personnellement à la pratique de la charité. Il voulait encore y accoutumer la Duchesse de Bourgogne. Il y avait quelque peine. Elle n’avait cependant pas mauvais cœur. Il suffisait qu’une infortune lui fût représentée d’une manière un peu vive pour qu’elle s’attendrît et y repensât souvent, Mme de Maintenon lui ayant parlé un jour d’une femme dont les privations avaient rétréci l’estomac, elle fut émue de cette souffrance, et, de temps à autre, apportait de l’argent à Mme de Maintenon en lui disant : « Ma tante, voilà pour votre estomac rétréci[1]. » Mais elle était dépensière, souvent endettée. Parfois elle avait aussi des fantaisies. Elle s’adressait alors au Duc de Bourgogne et lui demandait de distraire en sa faveur quelque chose de ce qu’il dépensait en aumônes. Pour ne point lui faire peine, le Duc de Bourgogne ne lui opposait point un refus direct. Il se bornait à lui communiquer l’emploi qu’il comptait faire de tout l’argent qu’il avait à sa disposition, la laissant maîtresse de se substituer à ceux dont les besoins lui paraîtraient plus urgens que les siens. « La Princesse, continue Proyart, se mit à contrôler à son profit les libéralités du Dauphin ; mais ne trouvant sur la liste de ceux qui y avoient part que des pauvres honteux, des orphelins abandonnés, des veuves d’officiers sans ressources, des officiers ruinés au service, la plume lui tomba des mains. « Il faut convenir lui dit-elle, que tous ces gens sont plus à plaindre que moi. » Mais elle ne put s’empêcher d’ajouter : « Je ne comprends pas, Monsieur, comment vous pouvez déterrer tant de malheureux[2]. »

L’exemple que le Duc de Bourgogne donnait à son épouse ne devait cependant pas être perdu. A mesure qu’elle avançait dans la vie et que le sérieux l’emportait chez elle sur la frivolité, elle comprit mieux les préoccupations charitables de son mari et s’y associa, même à l’insu de celui-ci. « Il n’avoit pas seulement obtenu d’elle, dit Proyart que nous ne pouvons nous défendre de citer une dernière fois, qu’elle modérât la passion qu’elle avoit pour le jeu. Il l’avoit encore attendrie par son exemple sur les besoins des misérables. Une personne qui avoit également la confiance des deux époux vint dire un jour au Duc de Bourgogne, en lui demandant le secret, que la Princesse avoit fait plusieurs aumônes et qu’elle nourrissoit tous les jours quarante pauvres

  1. Souvenirs sur Mme de Maintenon, t. II, p. 162.
  2. Proyart, t. II, p. 240.