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d’expansion que pouvait ajouter à leur génie guerrier l’emploi des machines, des vaisseaux et des canons modernes.

Pour faire participer réellement les Africains et les Asiatiques à tout ce qui constitue notre civilisation morale, les Européens n’ont fait que des tentatives incohérentes et fragmentaires. L’expansion européenne a entraîné avec elle l’étrange bigarrure d’idées et de doctrines qui divisent les nations contre elles-mêmes et les différencient entre elles ; les élémens les plus anciens et les plus traditionnels de la vieille Europe ont concouru à l’action extérieure avec les élémens les plus hardiment novateurs de l’Europa giovanne. L’Europe, au dehors, ne s’est sous aucun aspect présentée comme une unité réellement vivante ; exportant à la fois toute sa civilisation, avec les contradictions et les incohérences d’un siècle ballotté par les révolutions et secoué par les plus violentes luttes d’idées, elle a répandu à la fois l’ivraie et le bon grain, vendu l’antidote avec le poison ; partis de chez elle, des apôtres de doctrines adverses se sont rencontrés sur les mêmes champs de bataille ; ils s’y sont, pour ainsi dire, neutralisés les uns les autres, ou ils n’ont eu, chacun, que des succès incomplets. Au Japon, par exemple, Napoléon a ses admirateurs, mais Rousseau, voire même Emile Zola, ont aussi les leurs ; le catholicisme compte un nombre important de fidèles, mais aucune des sectes protestantes n’en est dépourvue ; le positivisme et la libre pensée ont de nombreux disciples sans que les anciennes religions nationales aient vu déserter leurs temples ; l’impérialisme conquérant a ses partisans enthousiastes, et le socialisme pacifiste n’a pas de peine non plus à recruter de fervens adeptes. La diversité des doctrines aurait suffi à empêcher l’unité de l’action européenne, si d’ailleurs les rivalités nationales n’y avaient, de leur côté, travaillé efficacement. Cette faillite partielle de Inaction morale des races occidentales a rendu plus sensible encore, et plus pernicieuse, la prédominance, dans l’expansion européenne, du caractère économique et mercantile. Le système monétaire, l’organisation du crédit, les sociétés anonymes, les machines, les moyens de transport, c’est toute cette armature internationale de notre vie moderne qui a fait la seule unité de l’action extérieure des Européens. De cette Europe, dont tant d’élémens divers constituent l’admirable activité, les peuples nouvellement entrés dans le cercle de son activité ont surtout connu l’agitation fiévreuse des maisons de commerce et des quais