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d’enthousiasme aux premiers succès du Japon, tant qu’ils n’ont vu en lui que le libérateur de l’Asie et de la Russie elle-même. Mais nous assistons aujourd’hui à un revirement très caractéristique de l’opinion des Yankees : ils commencent à redouter que ces Japonais, dont ils n’admettent pas chez eux les émigrans, ne deviennent bientôt de dangereux voisins pour les maîtres des Philippines et les plus acharnés de leurs concurrens dans la lutte pour le Pacifique.

En Chine, la nouvelle des triomphes d’Oyama ou de Togo, annoncée par les journaux, commentée par les agens japonais jusqu’au fond des provinces les plus fermées aux étrangers, a eu un incroyable retentissement dont l’avenir montrera les conséquences. En Annam et dans tout l’empire français d’Indo-Chine, où certaines méthodes dangereuses de notre colonisation ont semé bien des germes de mécontentement, le gouvernement a dû interdire l’entrée des journaux chinois, rédigés le plus souvent par des Japonais, qui commentaient avec trop de complaisance la chute de Port-Arthur et la défaite des Européens et excitaient les indigènes à la révolte. Au Siam, l’aristocratie gouvernante, menacée dans ses privilèges et dans sa paisible exploitation du pouvoir par les influences étrangères, tourne ses regards vers le Japon comme vers son protecteur naturel. Aux Philippines, la population Tagale voit dans les soldats du Mikado des auxiliaires éventuels contre les Américains et espère que, si les vainqueurs des Espagnols tardaient à rendre aux indigènes l’indépendance promise, un secours libérateur pourrait, un jour, venir du Nord. A Java, dans tout l’empire malais, où quelques milliers de Hollandais gouvernent des millions d’indigènes, les tendances autonomistes, encore peu développées, ont été encouragées et stimulées par les événemens de la guerre. Le même phénomène se produit dans l’empire anglais des Indes[1] ; le parti, peu redoutable encore, malgré son intelligence et son activité, qui rêve de confier aux Indous le gouvernement, des Indes, ira maintenant chercher son mot d’ordre vers cet Empire du Soleil Levant dont l’emblème lui apparaît comme le présage des hautes destinées réservées aux races asiatiques. Les Anglais redoutaient de voir fondre un jour sur l’Inde, du haut des

  1. Entre les ports de l’Inde et l’archipel nippon, les relations commerciales sont très actives ; le commerce indo-japonais atteint 18,3 pour 100 du total des échanges du Japon, il y dépasse celui des États-Unis et de la Chine.