Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/631

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le geste dispos et la démarche légère de la danse. Les statues de Constantin Meunier qui ne portent rien du tout semblent plier sous un lourd fardeau. Toute la différence entre les deux esthétiques est là.

La nouvelle est-elle féconde en belles découvertes ? Oui, sans doute, mais pourvu que l’artiste n’oublie pas que l’acte doit être choisi pour la forme, non la forme pour l’acte, ni l’acte pour l’idée. Le corps marqué d’un pli professionnel n’est plus un chef-d’œuvre humain capable de tout ce que peut l’homme : c’est une corporis diminutio. Tout geste de métier, par cela même qu’il est répété indéfiniment, et qu’il est fourni plus aisément par la musculature de l’ouvrier, rapproche l’homme de la machine qui, si perfectionnée qu’elle soit, ne peut faire qu’un geste. Si l’homme s’en rapproche assez pour lui ressembler, il tombe dans l’automatisme qui, comme M. Bergson l’a bien montré, est la principale, sinon la seule cause du ridicule. L’art n’atteint pas sa plus haute expression en révélant ce qui est distinctivement le faucheur, le foreur, le puddleur, mais en caractérisant ce qui peut être tout cela, mais n’est point cela nécessairement, et ce qui distinctivement est un homme. Avec ces réserves, l’artiste peut trouver nombre d’inspirations dans le geste du travail.

Il y a, aussi, celui de la Pensée. C’est un grand sujet de sculpture contemporaine. La plus célèbre tentative est celle de M. Rodin intitulée : le Penseur, qu’on a vu, l’an dernier, au Salon de l’avenue d’Antin, qu’on va voir, continûment, sur une de nos places publiques. Assurément, c’est là, pour renouveler le geste, une tentative désespérée. Quiconque essaiera de se mettre, ne fût-ce qu’un instant, dans l’attitude que M. Rodin inflige à son Penseur, sera grandement surpris que la méditation exige un pareil bistournage, ou même s’en accommode. Il faut, en effet, qu’étant assis, le buste courbé en avant et les pieds ramenés en arrière et reposant à terre par le bout, les talons beaucoup plus haut que les orteils, un homme appuie son coude droit sur son genou gauche et son menton sur sa main droite, tandis que le bras gauche posé sur ce qui reste libre du genou gauche, laisse pendre la main. Quiconque réussirait à prendre une telle attitude ne saurait la garder longtemps sans une atroce fatigue. Et il envierait celle du Mineur de M. Constantin Meunier, courbé lui aussi, mais dans une pose que l’on