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coopèrent. Toute attitude psychologique est une attitude concentrée. Toute réflexion s’exprime plastiquement par une flexion, jamais par une extension des membres. Le thème du Pensieroso est une flexion, tandis que celui du Moïse est une extension qui commence. Les Anglais qui, parmi les modernes, furent les plus subtils dénicheurs de poses psychologiques, nous en offrent beaucoup d’exemples. En examinant le célèbre Docteur de Luke Fildes, plongé dans la réflexion au chevet d’un enfant malade, en étudiant ce corps replié, concentré sur lui-même, tous les membres ramassés pour soutenir le bras qui soutient la tête, comme en observant le Saint Pierre de Madox Brown, aussi courbé vers le Christ, les mains liées à ses genoux on voit que l’expression psychologique dans une figure est en raison inverse du carré des distances du centre de la figure à la périphérie des membres. A mesure que l’homme devient plus pensif, le cercle de ses gestes se resserre. La tête se replie sur la poitrine, comme pour y chercher quelque chose. Les membres reviennent lentement se grouper autour de la tête, comme pour l’aider à « chercher, » ou comme pour la consulter, comme les estafettes reviennent vers le chef d’armée pour lui demander des ordres. La tête apparaît, selon le mot topique d’autrefois, le « chef » qu’elle n’était pas toujours dans la statuaire antique, la cause et la raison visibles du mouvement tout entier.

Il y a donc un geste de la pensée, un geste qui ne peut être confondu avec les autres et aussi bien M. Puech, dans sa Pensée moderne, que M. Rodin dans son Penseur et Mme Bertaux dans sa Psyché sous l’empire du mystère (au Petit-Palais) y ont plus ou moins ramené leurs figures. Et ce geste est moderne. Tel est aussi celui de la douleur. Si l’on se place, dans le hall de l’avenue Nicolas, au bout du côté nord sous le grand Vauban de bronze et si l’on regarde vers le centre, on voit toute une succession de voûtes humaines : ce sont des dos, des épaules ployées, des corps affaissés sous un poids invisible. C’est le poids de la douleur, c’est lui qui courbe la puissante musculature de l’homme sur la femme et l’enfant dans l’émouvant groupe de M. Alaphilippe : Et Demain ? C’est lui qui courbe les admirables figures que sculptait Constantin Meunier : le Grisou, le Pardon, Ecce Homo, et les figures plus touchantes encore des pleurans de M. Bartholomé. C’est sous lui que succombent, dans les œuvres de M. Metzner, les figures qu’il a intitulées la Mort,