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amplifier ou préciser une pensée. Le geste est si bien lié, par l’habitude, au langage et fait partie si intégrante du discours qu’on voit souvent des impulsifs faire inutilement, devant un téléphone, les frais d’une mimique démonstrative, persuasive, négative ou étonnée. Ces deux ordres de gestes : mouvemens utiles ou langage, sont également réduits dans la vie moderne.

Peu à peu, la science nous a permis d’obtenir une aussi grande somme d’effets utiles avec infiniment moins d’efforts musculaires et par conséquent de gesticulations. Tout progrès diminue le geste de l’homme. A mesure qu’il avance dans la civilisation, son envergure devient moins large, sa silhouette moins solennelle et sa main, dans un cercle plus réduit, se borne de plus en plus à pousser des boutons. Mais ce n’est pas, là, le point capital. Les gestes déterminés par le maniement d’un engin sont esthétiquement moins intéressans que les gestes déterminés par une simple émotion ou encore ceux dans lesquels les membres mêmes sont des engins : la main en cornet près de l’oreille pour écouter, ou en porte-voix pour appeler : — le geste de l’Écho de M. Beury et de la Nymphe Écho de M. Benoît-Lévy, avenue Nicolas, par exemple. De tous les engins modernes, il n’y a guère que le violon qui ait déterminé des gestes inconnus des anciens et dont certains artistes, tels que Barrias dans Mozart accordant son violon, aient pu tirer parti. La seule nouveauté qui puisse enrichir la statuaire est dans les mouvemens ou les émotions intimes de l’homme el dans l’expression qui en résulte aux yeux.

Or nos gestes modernes, en tant qu’ils traduisent nos émotions, sont beaucoup moins démonstratifs que les gestes anciens. L’évolution naturelle de notre éducation nous porte à des mouvemens moins arrondis, plus droits, plus rares, plus prompts ? En myologie, comme en littérature, nous faisons moins de périphrases. Cela se voit dans les gestes de politesse, dans les honneurs rendus, même par les troupes et dans les pays où l’on les rend le mieux. Cela se voit encore dans les, gestes officiels de deuil. Il n’y a plus rien qui rappelle les pleureuses ou les vocératrices de jadis. Cela se voit enfin dans nos plaisirs, dans nos danses, jusque dans l’art des armes, où les belles et larges parades d’autrefois, les contre de prime ou les attaques enveloppantes sont remplacés par de simples oppositions ou par des coups droits. En toutes choses, le lutteur moderne est moins ample,