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plus direct, plus discret, tient moins de place. IÏ va sans cesse resserrant son cercle, comme un oiseau de proie qui descend sur la plaine, puis, tout d’un coup, il fait le geste direct, droit, le geste qui tue.

Le charmeur moderne, lui aussi, l’orateur, le poète, est économe de mimique. Il sent que son auditoire perdrait de la confiance en son guide s’il le voyait gesticuler, en lui montrant le but qu’il faut atteindre ou la beauté qu’il faut admirer. Il sait que le meilleur guide n’est pas celui qui se retourne à tout instant et manœuvre son piolet, mais l’homme grave et discret qui, d’un geste sobre, montre l’endroit exact où le pied doit se poser. Il ne veut pas être pris, non plus, pour un enfant ou pour un sauvage. L’enfant et le sauvage ont des expressions extérieures très vives et parfois très intempestives de leurs mouvemens d’âme : se taper sur les cuisses dans la joie, se mordre les doigts dans la douleur, comme l’enfant modelé par M. Marquet, avenue Nicolas II, sous cette impression : Il n’est pas de roses sans épines ; se tordre en une infinité de gambades dans le rire ou dans la ; colère, avoir besoin pour laisser passer le rire de se tenir les côtes et de se renverser en arrière, ce sont là autant d’expressions naturelles de l’homme primitif. L’homme moderne les évite et peu à peu, les évitant, les oublie, et peu à peu, les oubliant, ne les trouve plus si naturelles. Ainsi, il leur substitue une foule de nuancés qui se rapprochent toutes de l’immobilité. Peu à peu, son cycle se resserre : il ne met plus le poing sur la hanche, c’est le coude qui s’approche de la hanche, attitude moins provocante, mais plus apte pour le combat. De toutes ces modifications et de ces évolutions si lentes qu’elles paraissent insensibles, mais si profondes qu’elles frappent quiconque regarde la statuaire moderne après celle des maîtres du XVIIIe siècle, peut-on tirer un renouveau de la sculpture ?

Sans doute, il est très difficile de trouver des gestes à la fois nouveaux et beaux. La difficulté est beaucoup plus grande en sculpture qu’en peinture, parce qu’il faut que, là, ils se silhouettent de tous les côtés. Il faut qu’ils révèlent partout la forme humaine. Il les faut partout en équilibre, ce qui n’est nécessaire ni dans un tableau, chez chacune des figures prises à part, ni même dans un bas-relief. La statue isolée est un tout, qui ne se corrige point ni ne se balance, ni ne s’équilibre par quelque autre chose. Il lui faut des gestes assez détachés pour