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être visibles, intelligibles de toutes parts, et cependant non point tellement que la matière ne puisse se soutenir. Enfin, il faut, des gestes qui ménagent quelques accens d’ombre et qui n’en projettent pas de trop larges surfaces. Il faut se défier du bloc et de l’enchevêtrement, mais aussi de l’acrobatie et de tout ce qui détruit le sentiment de masse et d’équilibre. Au milieu de tant d’obstacles à la beauté d’un geste moderne, nos artistes le trouveront-ils ?

Ils le trouveront s’ils s’y acheminent très lentement. C’est par des variations insensibles que l’art se renouvelle. De même qu’en croyant copier l’antique, les renaissans furent originaux et aussi les gens du XVIIIe siècle ; de même, en croyant ne les copier pas, nos modernistes pourraient fort bien en venir à pasticher quelque obscure école du moyen âge et tout à fait manquer leur but.

Ce qu’il faut en face des maîtres, ce n’est ni les renier, ni les suivre, mais les considérer comme ces stèles funéraires qui bordaient les routes dans l’antiquité : avec respect, et passer outre. Ce souvenir des aïeux, le passant ne cherchait pas à le fuir. Parfois, il s’arrêtait un instant, les regardait, y cherchait peut-être un présage, puis marchait à son but. Nos artistes trouveront le geste moderne s’ils ne veulent à la statue aucune modernité, mais s’ils savent voir la nature et en dégager les inflexions nouvelles, à peine sensibles à la foule, les rythmes naissans qui témoignent que l’homme moderne a laissé quelques-uns des fardeaux de l’homme antique et en porte de nouveaux.


ROBERT DE LA SIZERANNE.