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O doux printemps ! quelle allégresse
Tu fais renaître dans nos cœurs ;
Pour nous il n’est plus de tristesse
Quand tu parais avec tes fleurs…


Toutefois, si l’on pense qu’ils étaient chantés par neuf jeunes bergers vêtus de bleu de ciel et de blanc et portant des guirlandes ; que d’autres bergers et bergères venaient ensuite leur offrir des fleurs et les entraîner à la danse ; qu’un orage, — avec « un moyen préparé pour imiter le tonnerre, » — éclatait ou troublait leurs jeux, puis se calmait peu à peu et s’éloignait dans la reprise des chants, — on aura une idée du caractère général de ce spectacle. A travers les chants et les danses, c’était une image de la vie champêtre qui se déroulait, poétisée par la grâce des costumes, ennoblie par la magnificence du décor naturel. Ces moissonneurs, ces vachers, ces jardiniers n’étaient ni des danseurs de ballet, ni des chanteurs d’opéra dans l’exercice d’un art coutumier : c’étaient de vrais jardiniers, de vrais vachers, de vrais moissonneurs, mimant en quelque sorte leurs travaux habituels, dont la danse et la musique dégageaient la secrète poésie ; et pour que cette poésie éclatât aux yeux el remplît les cœurs, il n’était point absolument nécessaire que les vers fussent meilleurs, n’étant là qu’un accessoire, un concours, une simple indication.

Les spectateurs n’en remarquèrent probablement pas la médiocre qualité. Pourtant, parmi la foule des bourgeois et des paysans qui remplissaient l’estrade, il y avait la fleur de la société v. audoise. Elle comptait à ce moment-là des hommes et des femmes du premier mérite : Alexandre Vinet qui, à peine âgé de vingt-deux ans, s’était déjà rendu populaire par des poèmes patriotiques et devait, à la fin de l’année, inaugurer à l’Académie de Lausanne son brillant enseignement ; le noble général Boinod, natif de Vevey, qui, fidèle dans le malheur, avait visité Napoléon à l’île d’Elbe et ne retira jamais de sa gloire qu’un legs de l’empereur ; deux des initiateurs de l’indépendance vaudoise : Jules Muret et Auguste Pidou, qui remplirent tous deux à plusieurs reprises les fonctions de landamann de leur canton ; le doyen Bridel, poète et historien, dont le nom est presque légendaire ; l’historien Vulliemin, tout jeune encore ; une jeune fille de vingt et un ans, Mlle Herminie Chavannes, qui devait" plus tard se faire un nom estimé dans les lettres de son pays ;