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Ces thermes de l’Est sont réduits à quelques pans de murs, dans les parois desquels sont creusées des niches où il y avait sans doute des statues. On a retrouvé, dans les décombres, celle d’un personnage en toge, — portrait probable du généreux donateur, qui avait fait construire à ses frais cet édifice d’utilité publique. Elle s’élevait, au-dessus d’un bassin à margelle arrondie, dans un frigidarium qui s’ouvrait sur le vestibule. Mais tout cela est dans un tel état de délabrement qu’il faut renoncer à se faire une idée bien nette de ce que furent autrefois ces thermes. J’en dirai autant de l’amphithéâtre, situé un peu plus loin, en allant toujours vers le Levant, hors des limites du Champ-de-Mars. Et pourtant, il y a une cinquantaine d’années, c’était la ruine la mieux conservée de Cherchell. Malheureusement on l’a traitée avec le même vandalisme que tant d’autres ruines de l’Algérie romaine[1] ! On s’en est servi comme d’une carrière et on y a tellement puisé pour les bâtisses de la nouvelle ville qu’il n’en reste presque plus rien : à peine quelques gradins à demi recouverts par les cactus et les aloès ! L’arène, qui mesurait 420 mètres de long et 40 de large a disparu sous une plantation de maïs.

Ce lieu, aujourd’hui anonyme, a vu, pendant des siècles, des fêtes et des spectacles sanglans dont le faste, la cruauté ingénieuse et décorative exaspéreraient nos nerfs ou humilieraient notre luxe. On y donnait des chasses d’apparat, peut-être des naumachies, en tout cas, des combats d’hommes et des combats de fauves. C’est ici que fut martyrisée, on ne sait trop à quelle date, une jeune fille de Tigzirt, nommée Marciana, pour avoir brisé une statue de Diane sur une des places de Césarée. Un récit évidemment légendaire nous a conservé les péripéties de son supplice. Il paraît qu’avant de l’exposer aux bêtes, le procurateur de la province avait d’abord livré la vierge chrétienne à des gladiateurs.

Je l’avoue ingénument : j’ai beau relire la pieuse histoire, — trop semblable à une foule d’autres, je n’arrive pas à m’intéresser à cette petite fille de Rusucurru (le nom ancien de Tigzirt) qui tut blessée au sein par un taureau sauvage et mangée

  1. Pour ne rien dire d’autres dégradations sacrilèges, j’émets humblement le vœu que le Gouvernement général de l’Algérie se préoccupe au moins d’entretenir les ruines des nécropoles et des basiliques chrétiennes de Tripasa, qui sont peut-être les plus curieuses, en tout cas les plus émouvantes, de toute l’Afrique du Nord.