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albâtres et des stucs polychromes qui lambrissaient les plafonds…

Et pourtant ce lieu de désolation et de mort fut autrefois le lieu le plus vivant et le plus joyeux de la cité. Césarée entière s’y rencontrait. On venait flâner ici, pendant les heures brûlantes, on s’y étendait sur des nattes ou des tapis de feutre, on regardait les joueurs de dés et d’osselets ; le soir, on s’accoudait là, pour respirer l’air du large, en face de la mer. Les voûtes sonores de l’édifice retentissaient des clameurs, du tumulte continuel de la foule, du fracas soudain des eaux jaillissantes sur le marbre des vasques : cris des marchands de pastèques et d’oranges, des vendeurs de vin chaud et de boissons à la neige, murmures des conversations, rires et lazzis autour d’une difformité ou d’un geste lascif, claquemens des mains sur les chairs moites que triturent les masseurs !… Quel calme maintenant ! quelle couche de cendre et d’oubli sur tous ces souvenirs ! Du petit mur où je me suis assis, je n’entends que le clapotement très faible de la mer toute proche qui s’écrase contre les récifs. Il est cinq heures. Le soleil s’incline déjà. A l’infini, le désert des vagues ondule, d’un gris bleuâtre d’ardoise neuve ; et, sous la lumière apaisée du couchant, tout l’espace céleste rayonne comme une eau plus profonde, où rien ne se mire et où le regard s’éteint…

Alors, dans cette indécision des formes que voile le crépuscule naissant, dans cette fusion délicieuse et lente des images de la terre et du ciel, une scène me revient qui date pour moi de quelques années, mais qui ne me paraît ni plus jeune ni plus vieille que les visions antiques suscitées par ces ruines.


C’était à Alger, dans un bain maure de cette longue rue tortueuse, où se trouve le Musée et qui, après mille détours, se redresse, pour aboutira mi-côte de la Casbah.

J’y entrai, un soir, vers onze heures, car les bains ne sont ouverts aux hommes que la nuit. Je soulevai le carré d’étoffe qui masquait la porte, au fond du vestibule, et je me trouvai dans un assez vaste patio dont l’atmosphère un peu lourde m’oppressa d’abord. A la lueur des lampes à huile, je ne distinguai qu’un amas de blancheurs, puis mes yeux s’étant accoutumés à la pénombre, je précisai les silhouettes des gens qui étaient là et l’architecture du local. C’était un patio tout en marbre blanc. Au centre, au milieu de l’impluvium, où l’on descend par quelques marches, se déploie un bassin circulaire,