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Le Temps de Nefftzer, dont le crédit égalait celui de la Revue, accentuait ces recommandations : « Tout est relatif. Il y a quelques mois encore, beaucoup de bons esprits pouvaient juger que notre état militaire était exagéré ; tous les esprits patriotiques doivent aujourd’hui le trouver insuffisant. Si la Prusse était une puissance libérale et parlementaire, de pareilles préoccupations n’auraient aucune raison d’être, et ne se produiraient pas. Mais les derniers événemens, le langage du Roi, et la manière dont M. de Bismarck pratique le système des annexions, ont dû montrer aux plus aveugles que la Prusse ne possède, en fait d’institutions libérales, que la forme et la lettre. Le roi Guillaume se croit un agent de la Providence, et, ainsi qu’il l’a dit aux Hanovriens, il ne connaît d’autre loi que l’intérêt de la Prusse. Il serait inutile de discuter cette manière de voir : elle existe, et nous ne la modifierons pas. Il faut donc en tenir compte, et tout le monde conviendra qu’elle est faite pour inspirer quelques inquiétudes, quand elle régit la politique d’un souverain qui va pouvoir disposer, à son gré, d’une armée de 1 200 000 hommes. Rien n’est donc plus naturel que les préoccupations qui se font jour. Ces préoccupations sont peu agréables par elles-mêmes ; mais elles sont la conséquence de la situation que les victoires de la Prusse ont faite à l’Europe. Nous ne pouvons nous y soustraire, et elles expliquent fort bien le retentissement du remarquable article de M. Forcade, article auquel la presse officieuse vient elle-même faire écho. Il ne saurait y avoir aujourd’hui de souci plus instant[1]. »

Il n’est aucun journal indépendant ou d’opposition qui n’exprimât les mêmes appréhensions et les mêmes vœux, le Siècle notamment, le plus répandu alors. La seule voix discordante fut celle d’Emile de Girardin. Dans son journal la Liberté, qui avait le plus fort tirage après le Siècle, il s’opposa à l’accroissement de l’état militaire : « M. Eugène Forcade serait l’ennemi personnel et systématique de la dynastie napoléonienne qu’il ne lui donnerait pas un autre conseil. Non, nous en répondons, il ne se trouvera pas de majorité législative qui immole à la crainte d’un péril imaginaire la liberté de six millions de Français âgés de vingt à trente-neuf ans. Toucher à la loi française de recrutement pour la prussifier, ce serait ameuter contre la loi nouvelle

  1. Temps du samedi 8 septembre 1866.