Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/743

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses glorieuses traditions, elle se lassait d’avoir une armée plus puissante par l’organisation que par te nombre ! N’essayons pas d’égaler le chiffre de nos soldats à celui de nos adversaires possibles. Même en nous épuisant, nous ne serions pas sûrs d’y parvenir. Ne nous en inquiétons pas. S’il est très difficile à 3 000 hommes d’en combattre avec succès 5 000, il l’est infiniment moins à 60 000 d’en défaire 100 000. Plus les proportions s’élèvent, moins l’infériorité numérique est fâcheuse. Elle peut être avantageusement compensée par l’habileté du général en chef et par la meilleure composition des troupes. Au-delà d’un certain chiffre il n’y a point de bonne armée, point d’armée dont on puisse assurer la subsistance et bien diriger les mouvemens. Celle qui, en 1812, entra en Russie était réduite de plus de moitié avant d’atteindre Moscou. Quand cette gigantesque et lamentable expédition eut complété la ruine de nos vieilles bandes déjà usées par des guerres incessantes, Napoléon sut encore réunir des conscrits très nombreux et leur faire compter quelques journées glorieuses. » Il ne blâmait pas seulement la recherche des effectifs considérables, il blâmait aussi l’organisation de la réserve, tant ses réunions et ses exercices que l’interdiction du mariage aux hommes qui en faisaient partie. L’exonération lui paraissait une malfaisante institution que, par amère ironie, on a qualifiée de démocratique.

Il flétrissait des termes les plus durs le projet de l’Empereur ; il faisait justement l’effroi du pays. S’il était voté sans des modifications considérables, il nous donnerait trois armées flasques, peu rassurantes pour notre honneur, écrasantes pour la population, ruineuses pour le Trésor. Et l’étranger envieux de la France n’aurait qu’à attendre, les bras croisés, son épuisement et l’étiolement de son intelligence.


VIII

Le général Trochu, comblé des faveurs de Napoléon III, soit dans sa carrière, soit dans ses difficultés de famille, le poursuivait d’une hostilité implacable : c’était sa manière de témoigner une reconnaissance chaleureusement promise[1]. Au début de

  1. Général Trochu à Sa Majesté l’Empereur, Lyon, le 18 août 1864. — « Sire, l’Empereur vient de m’élever dans la Légion d’honneur au rang de grand officier. Je ne me trouve pas le droit de rattacher la distinction dont j’ai à remercier Votre Majesté au souvenir des humbles services que j’ai pu rendre dans la dernière guerre. Le mérite des obscurs travaux auxquels je suis appliqué dans la paix ne la justifie pas non plus. J’ai le devoir de la considérer comme une marque de haute bienveillance particulière ; et, si elle n’ajoute rien aux sentimens de loyale fidélité avec lesquels je sers l’Empereur et le pays, elle élargit grandement le cercle de mes obligations envers l’un et l’autre. J’assure Votre Majesté que je saurai les remplir. Je suis, avec le plus profond respect, de l’Empereur, le très humble serviteur et obéissant sujet. J’apprends aujourd’hui seulement que l’Empereur a voulu que les bienveillantes espérances qu’il avait daigné me donner eussent immédiatement leur effet. Je sais à quel point leur réalisation était difficile, et je reste pénétré de gratitude pour Votre Majesté, devant la décision qu’Elle a prise en faveur de ma belle-sœur en lui donnant un bureau dans Paris. J’ai adopté les onze enfans de cette femme infortunée ; ma vie et la leur sont à présent solidaires, et ce que l’Empereur vient de faire pour eux, il l’a fait pour moi. Le devoir de la reconnaissance s’ajoute ainsi à tous les devoirs que me crée le naufrage de famille où je suis enveloppé. J’assure Votre Majesté, avec un cœur sincère, que je saurai le remplir. Je suis, avec le plus profond respect, de l’Empereur, le très obéissant, dévoué et fidèle sujet. En inspection générale, le 24 juillet 1866.
    À Sa Majesté. »