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principal de toutes les professions de foi des candidats indépendans ou hostiles. Dans toutes, ou à peu près, on découvrait la déclaration de Falloux : « Je suis l’adversaire de la nouvelle loi militaire dont l’application prolongée, désolant vos familles, dépeuplerait vos campagnes. » L’opposition du monde industriel à l’Empire était née des traités de commerce, celle du monde catholique de l’expédition d’Italie ; la loi militaire l’éveilla dans le peuple. Tant qu’on lui parlait de liberté, il était resté insensible parce que la liberté lui est indifférente. Il dressa l’oreille quand on lui apprit qu’il servirait neuf ans, que, l’exonération étant supprimée, il devait retomber dans les soucis du remplacement libre. Pendant même la durée des débats, deux députés de, l’opposition, Houssard et d’Estourmel, étaient nommés dans l’Indre et la Somme, et la défaite du gouvernement dans l’Indre était d’autant plus significative que le candidat officiel était le fils de Gouin, homme, à tous points de vue, considérable, député depuis trente-sept ans. Plus tard Gressier, le rapporteur de la loi, quoiqu’il en eût adouci les rigueurs, ne fut pas renommé au Conseil général dans un canton où il était jusque-là considéré comme un dieu. « Je vous aime bien, lui disait un de ses vieux fermiers, mais je ne voterai pas pour vous : vous avez fait mon fils soldat. » S’il n’avait pas été nommé ministre, puis sénateur, il n’eût pas été réélu député.

C’était certainement, comme on l’a dit, une preuve que l’esprit militaire était éteint chez nous. Comment en eût-il été autrement ? L’esprit militaire n’est pas un état naturel : il est le résultat de circonstances exceptionnelles. Un peuple l’a lorsqu’il voit une ambition prochaine et tangible à réaliser. Il existait en Prusse où tout Prussien rêvait de la conquête de l’Allemagne ; il existait chez le peuple français, sous la Restauration, tant que nous avions chanté avec Béranger :


Le Rhin lui seul peut retremper nos armes !


Mais on lui avait enseigné qu’il était chimérique et même criminel de prendre notre revanche de ces mutilations de 1814 et de 1815 dont son cœur avait tant saigné. Ne voulant pas renoncer à toute action dans le monde, il avait alors mis son ambition à devenir le libérateur des peuples malheureux. Mais, depuis 1859, les sages en crédit lui reprochaient le mouvement généreux qui lui avait fait prendre les armes pour l’Italie. Nous ne devions plus