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refusaient de le recevoir, il alla bravement trouver Cicéron et lui fit la même demande. On comprend l’épouvante de Cicéron à cette proposition. Comment lui, qui ne se croyait pas en sûreté dans la même ville que Catilina, aurait-il accepté de vivre dans la même maison ? Repoussé de toutes les honnêtes gens qui ne voulaient pas se charger d’un prisonnier aussi dangereux, il fut réduit à s’installer chez un compère, M. Marcellus, où tout le monde savait bien qu’il serait libre de faire ce qu’il voudrait, en sorte que cette manifestation, sur laquelle il comptait pour persuader les gens crédules de son innocence, ne lui servit qu’à diminuer le prestige que lui donnait son audace.

Rien en ce moment ne semblait lui réussir. Les pièges qu’il tendait au consul étaient déjoués ; il ne pouvait former quelque projet qui ne fût aussitôt découvert et prévenu. Ces contretemps devaient lui être très sensibles et le faisaient douter pour la première fois du succès de son entreprise. Est-ce dans un de ces momens d’irritation et de découragement que Salluste a voulu le peindre quand il nous dit « que ses nuits et ses journées étaient troublées par le souvenir des crimes qu’il avait commis, que ses remords se lisaient sur son teint pâle, dans ses yeux injectés de sang, dans sa démarche tantôt lente, tantôt précipitée, qui trahissait le désordre de son âme ? » En même temps nous apercevons à certains signes qu’il avait beaucoup perdu de la confiance qu’il témoignait jusque-là à ces grands seigneurs de Rome, qui s’étaient faits ses complices. Il ne leur parle plus du même ton. Il leur disait, au début, « qu’il connaissait leur courage et leur fidélité, et qu’il les tenait pour des gens de cœur ; » la dernière fois qu’il les réunit, il n’hésita pas à leur reprocher leur lâcheté. Au contraire, les vieux soldats qui lui arrivaient de tous les côtés de l’Etrurie lui paraissaient braves, résolus. Il ne comptait plus que sur eux pour tenter la fortune ; il s’apprêtait à les aller trouver au plus tôt et à se mettre à leur tête. Surtout il avait une hâte fébrile d’en finir. Il semble bien que son parti était pris avant même qu’il ne connût le résultat définitif de la dernière élection, et qu’il avait décidé que l’insurrection, quoi qu’il arrivât, éclaterait dans les derniers mois de l’année.

Cicéron était au courant de tout ce qui se préparait. Le 21 octobre, il annonça au Sénat que tout était prêt pour une prise d’armes : six jours plus tard, Manlius devait commencer les hostilités en Etrurie ; le lendemain, à Rome, on procéderait aux