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fut titré au moment de sa naissance : Duc d’Anjou. Il devait être un jour le roi Louis XV.

Cette même année 1710, qui fut témoin d’une naissance royale, vit encore un mariage qui assura et fortifia le crédit de la Duchesse de Bourgogne et parut avec raison un nouveau triomphe pour elle. Il y avait à la Cour un jeune prince de vingt-quatre ans sur lequel l’attention commençait à se porter. C’était le troisième fils de Monseigneur, le frère cadet du Duc de Bourgogne, le Duc de Berry. Ce prince n’était pas sans qualités ; il s’était bien montré durant la campagne de Flandre, et avait été reçu avec faveur à son retour par le Roi et par son père, qui le préférait ouvertement au Duc de Bourgogne. Mais il n’en vivait pas moins sur un pied de grande intimité avec la Duchesse de Bourgogne, ne bougeant guère de chez elle, et prenant part à tous ses plaisirs. Madame, toujours sévère, lui reproche même son attitude au milieu du petit cercle de dames qui entouraient la Duchesse de Bourgogne. « Depuis nombre d’années, écrivait-elle le 9 juin 1708, le Duc de Berry n’écoute que la Duchesse de Bourgogne et ses dames. Comme celles-ci ont autant de savoir-vivre que des vaches dans leur vacherie, elles le traitent comme un valet, il ne sait plus lui-même qui il est[1]. » Et dans une autre lettre du 9 mars 1710 : « Il n’est pas étonnant que le Duc de Berry se conduise comme un enfant. Il ne parle avec personne de raisonnable. Nuit et jour, il est dans la chambre de la Duchesse de Bourgogne où il fait le valet de chambre de ses dames. L’une se fait apporter une table par lui, l’autre son ouvrage, la troisième lui donne telle autre commission ; il se tient debout ou bien est assis sur un petit tabouret, tandis que toutes les jeunes dames sont étendues ou bien dans une chaise à bras, en écharpe, ou bien sur un lit de repos[2]. » Le Duc de Berry aimait en effet la société des femmes, tout en se montrant timide avec elles. « Parmi plusieurs commencemens de galanteries, dit Saint-Simon[3], il n’avoit su encore ni les embarquer, ni les conduire, ni en mettre aucune afin. » On pouvait craindre cependant qu’il ne devînt plus hardi, et qu’il ne s’engageât dans quelque liaison, dont il serait difficile de le détacher. Il était donc naturel que

  1. Édition Bodeman, p. 180. Cette édition, récemment publiée en Allemagne, contient un certain nombre de lettres qui n’ont jamais été traduites.
  2. Édition Jæglé, t. II, p. 115.
  3. Saint-Simon, édition de 1856, t. VIII, p. 214.