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Mais si non-conformiste que l’on soit, on est homme après tout, homme de chair et de sang ; on ne résiste pas à des parties de rivière en tête à tête avec une jolie personne qui brave, décolletée, les frissons nocturnes, sans parler d’autres avances dont la dernière est la suggestion détournée d’un fin dîner au cabaret.

Malheureusement, comme lady Jessica va goûter, non sans curiosité, une sauce qu’elle ne connaît pas, et qui, sur le menu, s’appelle sauce arcadienne, surgit un féroce beau-frère qui, pas plus que le mari lui-même, ne comprend la plaisanterie, même quand on la lui explique. Et le moyen d’expliquer celle-ci sans mentir ? Ce n’est pas que le mensonge répugne beaucoup à Jessica et à ses pareilles, qui ne cessent d’y avoir recours pour justifier leurs dépenses et leurs incartades. La coquette, prise au piège, et ses amies, et les maris de ses amies entraînés dans le complot, mentent donc à qui mieux mieux pour sauver la situation. Seul, le colonel Deering tient pour la vérité, tout en se mettant avec un empressement chevaleresque au service de la pauvre Jessica. Tant d’inventions qui se contredisent plus ou moins ne font qu’aggraver le mal et produiraient peut-être un divorce scandaleux, si lady Jessica n’ordonnait enfin à son farouche amoureux puritain, plus malhabile à mentir que les autres, de dire devant tous, simplement, ce qui est. Alors, dans une très belle scène, Falkner se déclare prêt à enlever, à épouser, à prendre tout à lui, à jamais lady Jessica, d’ailleurs sans reproche. Et le mari, qui n’a pas su se faire aimer, commence, en présence de cette passion frénétiquement proclamée, à sentir que, tenant à sa femme, il n’a rien de mieux à faire que de la garder.

Il accepte la situation, parce que, s’il ne l’acceptait pas, lady Jessica s’en irait au bras de Falkner, tandis que c’est avec lui au contraire que, devenue sous le coup de cette aventure un être humain qui souffre et se sacrifie, elle s’en va, le cœur gros, goûter conjugalement la fameuse sauce arcadienne. L’amant abandonné retourne au fond de l’Afrique avec son ami Deering qui emmène aussi la belle veuve. Ils se marieront en route ; elle s’est décidée au dernier moment. C’est là encore une scène excellente. Tout en faisant rapidement sa malle pour se rendre au poste lointain où il est appelé d’urgence, le colonel, montre en main, — il n’a plus que cinq minutes, — arrache Falkner à une irrémédiable folie,, réconcilie un ménage brouillé et obtient