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conjuration. Pour Cicéron, que la politique a occupé toute sa vie, qui ne jette guère les yeux au-delà de cette ville qu’il n’a presque jamais quittée, la conjuration est toute à Rome, et c’est là qu’il faut la combattre et la vaincre. Le reste sera l’affaire des légions dont la victoire ne lui paraît pas douteuse. D’ailleurs il connaît aussi bien que Catilina ce que valent les conjurés de Rome. Il sait que leur chef seul est à craindre, et il pense qu’une fois qu’il n’y sera plus, on aura facilement raison des autres. Voilà pourquoi il souhaite si ardemment son départ.

On dira sans doute qu’il n’avait pas besoin de le prier avec tant d’instances de partir, puisqu’il pouvait l’y contraindre. Le sénatus-consulte dont il était armé lui en donnait le pouvoir, et si, comme on l’a vu, il répugnait à se charger seul d’une initiative aussi redoutable, il pouvait demander franchement au Sénat de partager la responsabilité avec lui. Mais il pouvait craindre aussi que le Sénat s’y refusât ; il n’ignorait pas qu’un grand nombre de sénateurs, la majorité peut-être, n’était pas disposée à prendre des mesures compromettantes. Ce qui prouve qu’il le savait, c’est un incident curieux qui se passa pendant la lutte. A un moment où Cicéron pressait le plus vivement son adversaire de partir de lui-même et de ne pas attendre que le Sénat le condamnât à l’exil, Catilina, payant d’audace, répondit qu’au contraire il voulait lui faire décider la question. « Fais-en la proposition, dit-il au consul, et s’il me condamne, j’obéirai. » Pour parler avec cette assurance, il fallait qu’il ne doutât pas que le Sénat n’en ferait rien. Cicéron aussi le soupçonnait, et, comme il ne voulait pas s’exposer à un refus, il s’en tira par un expédient habile. « Non, lui répondit-il, je ne ferai pas une proposition formelle, qui répugne à mon caractère[1], mais tu vas savoir tout de même ce que le Sénat pense de toi ; » puis, s’adressant encore plus directement à lui et avec plus de force : « Catilina, lui dit-il, sors de Rome, délivre la république de ses terreurs, et,

  1. Cat., 1, 8 : non feram id quod abhorret a meis moribus. — Mérimée, dans sa Conjuration de Catilina, suppose que Cicéron veut dire qu’il est contraire à ses principes politiques de prendre l’avis du Sénat pour la condamnation des conjurés, et l’accuse de s’être mis en contradiction avec lui-même lorsque, quelques jours plus tard, il appela le Sénat à juger Lentulus et ses complices. C’est une erreur. Cicéron parle de ses principes d’humanité, de la douceur naturelle de son caractère qui lui rend ce rôle d’accusateur odieux. C’est ce qu’il répète dans tous les discours qu’il a prononcés à cette époque, même dans ceux où il est forcé, malgré lui, de demander des mesures de rigueur.