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si c’est ce mot que tu attends, pars pour l’exil. » Le mot lâché, il se tut. Le Sénat ne répondit rien. Aucune approbation ne se fit entendre, mais aussi aucun murmure. Alors Cicéron reprenant la parole : « Tu vois, dit-il, ils m’ont entendu et ils se taisent. Qu’est-il besoin que leur voix te bannisse, quand leur silence te dit leur sentiment ? » et il continua sur ce ton. Il était donc convaincu qu’il ne pouvait demander aux sénateurs d’autre manifestation que de ne rien dire ; leur courage n’allait pas plus loin que le silence. Cette scène est caractéristique ; il faut s’en souvenir quand on est tenté d’accuser Cicéron de faiblesse. Que pouvait-il faire, n’ayant pour appui que des gens qu’il savait incapables de résolutions viriles ? Puisqu’il n’ose pas imposer l’exil à Catilina, il se voit réduit à le lui conseiller[1]. Il lui montre, avec toute l’habileté de son éloquence insinuante, la honte qu’il y a pour lui à vivre parmi des concitoyens qui le redoutent et qui le détestent. Il va jusqu’à s’attendrir sur le sort que lui fait cette haine générale. Il lui demande, à plusieurs reprises, de s’en aller, comme un service personnel, et suppose que Rome elle-même prend la parole pour l’en prier, quoiqu’il sache très bien que Catilina n’avait aucun désir de rendre service à ses ennemis, et qu’un homme comme lui, qu’il accuse de vouloir mettre le feu à la ville, ne pouvait pas être très sensible à la prosopopée de la Patrie. Il faut avouer que tout ce pathétique ne paraît guère de nature à toucher Catilina, et même qu’il risquait d’amener un résultat contraire. N’était-il pas à craindre qu’à force de le presser de partir on ne lui inspirât, malgré la décision qu’il avait prise, quelque velléité de rester[2] ? Mais puisque Cicéron ne croyait pas pouvoir employer la violence, il était bien obligé de recourir à la persuasion.

Il est vrai qu’il avait un moyen plus facile de sortir d’embarras : il lui suffisait de se taire ; il savait que Catilina était décidé à s’en aller, et que tous ses préparatifs étaient faits, il n’avait donc qu’à le laisser partir. Mais c’est précisément ce qu’il ne voulait pas. Il fallait qu’il ne partît que dans certaines conditions qui lui rendraient le retour impossible. S’il paraissait céder

  1. I Catil., 5 : non jubeo, sed, si me consulis, suadeo.
  2. Je serais assez tenté de croire que, s’il a vraiment ajouté quelque chose à son discours en le publiant, ce doit être ces adjurations réitérées qui ne nous paraissent pas toujours fort adroites. Mais il avait intérêt à leur donner plus d’importance pour faire croire qu’il avait eu plus de part à la fuite de Catilina.