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à la force, on pouvait croire qu’il était victime d’un abus d’autorité, et il se serait trouvé des gens pour le plaindre. Au contraire en partant de lui-même, sous les reproches des honnêtes gens, et parce qu’il sentait bien qu’il ne lui était plus possible de rester, il semblait reconnaître les crimes dont on l’accusait ; et il devenait impossible d’en douter puisqu’il les avouait lui-même. De cette façon il ne restait plus d’incrédules et on obtenait ainsi cette unanimité d’opinion qui devait sauver la république. Mais pour y réussir, pour amener ce départ à la fois volontaire et forcé, il fallait que le discours de l’orateur flottât sans cesse entre la menace et la prière. C’est le caractère de la première Catilinaire, et voilà pourquoi elle est au premier abord si difficile à comprendre. L’embarras de la situation s’y reflète, et cet embarras est tel que Cicéron lui-même, quand, le lendemain, il raconta au peuple ce qui venait de se passer, manquait de termes pour expliquer comment il s’était fait que Catilina fût parti. « Nous l’avons chassé, disait-il, ou, si vous aimez mieux, nous lui avons ouvert les portes, ou, mieux encore, nous l’ayons accompagné de nos paroles pendant qu’il s’en allait. » La première expression (ejecimus) est évidemment trop forte, et Cicéron s’est défendu lui-même, un peu plus loin, de l’avoir mis dehors ; ce n’est que plus tard qu’il s’en est fait honneur comme d’un titre de gloire. Le second mot (emisimus) est déjà plus juste ; on ne lui a pas seulement tenu la porte ouverte, on l’a un peu poussé pour qu’il sortît, comme on faisait aux bêtes qu’on lançait dans l’arène ; mais le dernier (egredientem verbis prosecuti sumus) est la vérité même. Catilina partait ; Cicéron l’a accompagné de ses invectives. On ne devait pas le laisser quitter Rome fièrement, la tête haute, comme un de ces généraux de l’ancien temps au--quel ses amis faisaient cortège du Capitole aux portes de la ville, lorsqu’il allait prendre le commandement d’une armée. Il fallait qu’au dernier moment une voix éloquente soulevât contre lui l’indignation des honnêtes gens, et qu’il s’en allât le front courbé sous les anathèmes du consul. Tel était le dessein de Cicéron dans sa première Catilinaire, et puisqu’il y a réussi, Salluste a bien raison de dire « qu’elle fut utile à la république. »