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hydrographes et qui a retardé longtemps le développement de la cartographie maritime. Le compas n’est pas assez précis pour un levé étendu où les points de repère sont très éloignés les uns des autres ; les erreurs en s’accumulant finiraient par devenir dangereuses. Du reste on ne peut guère se servir du compas, — à cause de son peu de stabilité, — dans les embarcations qui seules permettent des sondes précises et délicates[1].

Ce fut Beautemps-Beaupré qui le premier résolut le problème d’une façon aussi simple que précise et qui donna ainsi à l’hydrographie la base scientifique qui lui avait manqué jusqu’alors. Le premier, il eut l’idée d’appliquer aux opérations hydrographiques les instrumens à réflexion, cercles ou sextans, qui ne servaient avant lui qu’aux observations astronomiques nécessaires à la conduite du navire au large. Il montra comment, en mesurant avec un de ces instrumens, d’un point situé en mer, les angles sous lesquels on voit trois points à terre, on peut, sans calcul, par une construction géométrique simple et rapide, déterminer la position de ce point avec une exactitude qui ne laisse rien à désirer.

Lors du célèbre voyage entrepris par d’Entrecasteaux pour aller à la recherche de La Pérouse, de 1791 à 1795, Beautemps-Beaupré, qui faisait partie de l’expédition, eut l’occasion d’appliquer pour la première fois ces nouveaux procédés, et les résultats qu’il en obtint furent consignés par lui, avec le principe de sa méthode, dans un rapport qu’il publia à son retour de ce long et pénible voyage. La France était alors trop agitée par les derniers soubresauts de la Révolution pour qu’on pût tirer parti pour la reconnaissance de nos propres côtes de cette découverte dont seuls les marins et les savans étaient à même de comprendre l’importance. Toutefois, l’attention était attirée sur le jeune hydrographe. Il fut chargé par Napoléon de plusieurs missions délicates où il se fit remarquer de nouveau par ces qualités d’observation et de science nautique qui devaient le mettre hors de pair.

Les guerres maritimes du premier Empire firent ressortir plus que toute autre les inconvéniens graves résultant du manque

  1. Pour des levés de détail, des ports par exemple, on peut placer deux observateurs munis d’un théodolite en des points déterminés d’où ils relèvent simultanément à un signal convenu une embarcation qui sonde au large. Le procédé est très précis et a été employé au XVIIIe siècle pour les rares levés hydrographiques de cette époque ; mais il exige un nombreux personnel et ne peut s’appliquer à un levé un peu étendu.