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La mosaïque s’étale devant nous, à peine discernable sous la couche argileuse qui la recouvre. Les rouges et les bleus pâlis transparaissent faiblement, comme à travers une plaque de verre dépoli ; et les figures mal ébauchées ont une apparence fantomatique. Je songe à l’évocation des âmes, dans l’Odyssée, à des morts qui remonteraient à. la lumière et qui auraient encore, sur leurs visages blêmes, les vapeurs pestilentielles de l’Orcus.

Mais le chef d’équipe s’avance avec un arrosoir. Les gouttelettes brillantes ruissellent sur les cubes polychromes de la mosaïque, et, à mesure que l’homme arrose’, c’est comme un tapis oriental, aux tons vigoureux et chauds, qui se déroule au soleil. Les réseaux de couleurs s’avivent et s’illuminent : tel un parterre brûlé par le hâle d’un jour d’été et que ranimerait soudain une ondée d’orage... Maintenant la composition entière se déploie sous nos yeux, encadrée d’un rinceau de feuillages où se détachent des attributs et des masques tragiques. Au milieu, émergeant d’un bosquet d’orangers, un petit Eros aux ailes ocellées de pierreries se pavane sur un char de parade traîné par quatre chevaux blancs. Une chevelure botticellienne retombe en boucles égales sur ses épaules. Il est vêtu d’une longue robe collante, lacée sur la poitrine et pincée à la taille comme un corset. D’une main il agité son arc, avec un geste gauche et enfantin, et, de l’autre, il tient, serrée contre lui, une branche de palme qui monte au-dessus de sa tête. Dans un angle, on lit encore, en lettres capitales : EROS OMNIA PER TE : « Amour tout se fait par toi !... »

Je regarde cet Eros triomphant sur son quadrige, cette petite ombre puérile qui s’en revient des régions douteuses de l’Erèbe, et il me semble que c’est l’âme même de la ville morte qui ressuscite un instant pour moi, parmi ces murs écroulés et cette poussière de sépulcre !

La maison à la mosaïque est toute proche du forum, qui s’ouvre à mi-chemin du decumanus maximus.

On y accédait par un portique monumental que précédait un escalier d’une dizaines de marches. C’est une plate-forme rectangulaire, entièrement dallée, et bordée elle-même d’un portique continu. L’état de conservation en est si merveilleux qu’il suffit