Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

première communion. Je la fis tout seul dans une mansarde ignorée où se rendait un prêtre non assermenté. C’est là que le Dieu des armées s’abaissa jusqu’au petit mousse, et devint le protecteur de mon enfance abandonnée.

Je profitais cependant de mon mieux des leçons de mon oncle ; j’étais assez grand pour comprendre combien était précieuse cette occasion d’acquérir l’instruction sans laquelle j’étais condamné à végéter dans la plus basse condition. Bien m’en prit d’avoir profité de ces utiles leçons, car j’étais à peine depuis un an à terre quand je fus rappelé au service. Rien absolument ne justifiait cette mesure ; j’avais été congédié régulièrement à l’expiration d’un engagement contracté, malgré mon extrême jeunesse et sans le consentement de mes parens ; je ne pouvais être levé comme conscrit, et encore moins assimilé aux inscrits maritimes qui font profession de vivre de la mer. C’est cependant ce que décida M. le commissaire de la marine à Saint-Malo ; il me réclama comme inscrit, et malgré les réclamations de M. de Laune et l’avis de tous les gens sensés, il me contraignit à rallier Brest. Le commissaire en voulait simplement à mon père, et, dans ce temps de justice et de fraternité, rien n’était plus dangereux que d’avoir un ennemi en place.

J’avais une lettre de recommandation pour M. l’amiral de Kerguelen, commandant la marine ; j’en reçus un bon accueil, mais la pénurie des équipages était si grande, et les ordres pour se procurer des marins si rigoureux, qu’il n’osa pas désavouer la mesure prise par le commissaire de Saint-Malo. Il me fit embarquer sur le vaisseau le Jean-Bart, et me recommanda à son tour au commandant de ce navire. Cette protection me valut d’être inscrit sur les rôles comme « novice, » ce que je n’aurais dû être qu’à seize ans, et comme tel de faire les quarts de nuit dont j’aurais dû être dispensé comme mousse.


IV
Je retrouve mes frères. — Je suis nommé aspirant. — Embarquement sur le Tyrannicide. — Le commandant Lallemand. — Campagne de 1799 dans la Méditerranée. — L’escadre de l’amiral Ganteaume. — Campagne de 1801.

Ma condition de novice me valut du moins un supplément de solde, qui me permit d’acheter une arithmétique et de continuer tout seul mes études. J’ai passé bien des heures sur les fractions