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de la mer. Conformément à cette condition, dont aucun Anglais, pas même sir Thomas Barclay, n’a jamais méconnu la nécessité, il faut qu’en tout temps la marine de l’Angleterre soit au moins égale en puissance effective aux marines réunies des deux nations dont les marines viennent immédiatement après la sienne, et qui seront bientôt, si nous n’y prenons garde, non plus la France et la Russie, comme hier, mais l’Allemagne et l’Italie. Les partisans les plus résolus du « désarmement, » même proportionnel, se flattent-ils de décider un jour l’amirauté d’Angleterre à ramener la marine anglaise aux proportions de la marine française ou de la marine italienne ? et si la marine anglaise ne désarme pas la première, quelle raison aurons-nous, les Italiens et nous, de désarmer ? mais, inversement, si la marine anglaise ne désarme pas, pourrons-nous, nous, renoncer à l’entretien de la nôtre ? et augmenterons-nous ainsi la puissance maritime anglaise de tout ce que nous sacrifierons de nos traditions navales ? Car c’est bien ainsi, et non autrement, que la question se présente à nous, sur le terrain de la réalité politique, et non dans les nuages de l’utopie pacifiste. Ou les Anglais désarmeront les premiers, ou aucune marine ne désarmera. Mais les Anglais peuvent-ils désarmer ? s’ils désarment, le baron d’Estournelles est-il homme à leur garantir qu’ils demeureront l’Angleterre ? s’ils ne sont plus l’Angleterre de leur marine, M. Frédéric Passy leur promet-il qu’ils continueront d’être l’Angleterre de leur industrie ? « Les bénéfices de cette évolution, nous dit-on, se chiffreront-ils par millions ? » Et si cette évolution, selon toutes les probabilités, tourne en pertes plutôt qu’en bénéfices, est-ce M. Charles Richet qui leur persuadera de trouver dans l’estime des pacifistes une compensation à ces pertes ? Demander à l’Angleterre de renoncer au statu quo maritime, c’est donc lui demander de renoncer à sa raison d’être historique,


et propter vitam vivendi perdere causas ;


et c’est le lui demander au nom des principes, sans doute, et au nom de l’humanité, je le veux bien, mais, en attendant, c’est le lui demander au profit et dans l’intérêt des puissances qui grandiraient de sa diminution même.

Seconde question : la question d’Alsace-Lorraine, ou, plus généralement, la question des rapports de l’Allemagne et de la France ? Nos pacifistes en auraient-ils une solution pacifique et