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donné l’exemple, que les autres princes seraient contraints par l’opinion publique à s’abstraire de toute préoccupation égoïste, et à laisser à l’Église cet empire de l’âme qui appartient à l’Église.


Cette fois, c’est clair, c’est catégorique, et cela signifie : Saint-Père, donnez-nous Rome, et nous, nous donnerons à l’Eglise la liberté ; ce qui apprendra aux autres à la lui -donner.


IV

Voilà donc, en ses nuances, en sa gradation, la pensée de Cavour : il veut ardemment Rome capitale ; il veut, ou plutôt il désire sincèrement, ou plutôt même il accepte loyalement l’Eglise libre, mais à ce prix et à ce seul prix : l’Italie dans Rome, Rome à l’Italie. Sur le premier point, aucun doute, personne ne l’a jamais contesté ; mais, pour ce qui touche la liberté de l’Eglise, on a laissé percer des doutes sur la sincérité de Cavour. On a laissé entendre qu’il n’aimait la liberté de l’Eglise que pour Rome capitale et qu’il ne l’aimait point pour elle-même ; ou qu’il ne l’aimait, ainsi que nous l’avons dit, que comme un moyen, parce qu’il voulait Rome capitale et la poursuivait comme une fin. En 1871, lors de la discussion de cette Loi des garanties pontificales où venait se consolider, se cristalliser en quelque sorte, et presque dans les formes qu’il lui avait données, la pensée de Cavour, on a disserté longuement là- dessus[1]. Un juriste des plus distingués, M. Guido Padelletti, écrivait, en 1875 encore, dans la Nuova Antologia : « Nous pouvons légitimement nous demander si la promesse faite d’accorder à l’Église dans tous les cas la plus ample liberté, même quand la Curie lui aurait opposé un refus obstiné[2], pouvait lui, paraître (à Cavour) vraiment sincère et réalisable... Probablement a-t-il voulu montrer ainsi qu’il tenait toujours une voie ouverte vers la conciliation de la Curie avec le royaume d’Italie, mais il n’a sûrement pas entendu abandonner pour cela l’idée qui a animé toutes les négociations avec Rome. Cette idée était que l’Etat doit tenir bien serrées en ses mains ces vieilles armes juridictionnelles (nous dirions en France ces vieilles

  1. Francesco Scaduto, Guarentigie pontificie e relazioni fra Stato e Chiesa, Lœscher, 1884.
  2. Voyez le discours de Cavour à la Chambre piémontaise, du 25 mars 1861, Discorsi parlamentari del conte di Cavour, t. XI, p. 314.