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Un mode de fermage usité dans quelques provinces, c’est la tenure à titre de bordier, bordager ou gouverneur : locataire d’une petite borderie de six hectares au plus, le bordier paie une rente de 150 à 300 francs, jouit de la maison, des étables, du jardin et de quelques sillons de terre labourable pour ses légumes ; le propriétaire prépare les terres, a pour lui la première coupe des prés, le fumier ; les bestiaux appartiennent au bordier qui en a le profit : à lui aussi, les secondes coupes des prés, les feuilles. Il y a des bordiers et des borderies dans la Charente, mais avec quelques variantes : cette tenure participe du fermage et du métayage, fermage pour l’habitation et le jardin, métayage restreint pour les autres terres ; ces borderies sont surtout tenues par les femmes dont les maris exercent un autre métier que celui de cultivateur.

Au bail-vente à cens, si usité au moyen âge, se substitue le fermage à partir du XVIe siècle ; à côté de celui-ci s’établissent certaines formes de tenure, domaine congéable en Bretagne, Waldrecht en Alsace, droit de marché en Picardie, emphytéose, usement de Rohan, baux à vie, baux à trois vies, qui créent une sorte de semi-propriété paysanne, où le preneur peut demeurer très longtemps inexpugnable, s’il remplit les charges de son contrat. L’emphytéose dure quatre-vingt-dix-neuf ans ; après cela, il faut une nouvelle convention, sans quoi le bail prenait fin, et le propriétaire du fonds pouvait y rentrer en indemnisant le fermier de ses déboursés.

Certains fermiers de Picardie, dans le Santerre et le Vermandois, jouissent du droit de marché ou mauvais gré, qui s’étendait vers 1870 sur 250 communes environ, et qui est en train de disparaître. C’est le droit à la perpétuité du bail, ou plutôt à l’obtention de baux successifs, le fermier payant à chaque nouveau bail un pot-de-vin égal à une année de fermage, mais pouvant transmettre son droit à ses héritiers, même à titre onéreux, pourvu que l’acquéreur paie au bailleur une indemnité, l’intrade. Veut-il racheter le droit de marché, le propriétaire doit à son tour verser une indemnité. Les terres à marché valent la moitié des terres libres. A moins de haine violente, on ne dépointe pas, on ne prend pas, soit en location, soit en achat, aux fermiers, les terres pour lesquelles ils ont payé un droit de marché. Ce droit lui-même, 600 à 1 000 francs par hectare, se réduit de plus en plus, et le temps est passé de ces grandes vengeances qui font