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crème, jouissent d’une considération particulière : c’est une toute première pour la cuisine, dit-on chez nous. L’usage du cidre, de la bière et du vin, se répand de plus en plus, et les ménagères apprécient fort le café au lait du matin ; en y mettant beaucoup de sucre, elles contribueront à diminuer d’intensité la crise de la betterave. Malheureusement le vin du cultivateur n’est pas toujours celui de sa vigne, le vin fait avec du raisin et du soleil, et la falsification ne l’épargne pas plus que les citadins. On calcule la dépense de nourriture à un franc par jour, 0 fr. 75 au minimum, et quant au service de table, il reste des plus sommaires : la fourchette du père Adam, et l’eustache de chaque ouvrier en font encore les frais dans bien des endroits ; le morceau de pain sert d’assiette, ou bien la ménagère en accorde une pour la soupe, et on la torche avec du pain à chaque service. « Dans le Cher, on ne connaît pas les assiettes, et tout le monde puise à même le plat ; la viande se mange sur le pouce et le fromage en tartines ; on boit à un gobelet commun. »

En revanche le luxe du vêtement, qui gagne partout, excite des plaintes générales ; les anciens costumes typiques disparaissent, le paletot de drap remplace la blouse, femmes et jeunes filles veulent suivre les modes de Paris, portent une ombrelle et mettent des gants, sacrifient le nécessaire, succombent aux tentations des grands magasins qui, par leurs catalogues périodiques et leurs émissaires, ont éveillé bien des convoitises. Le dimanche, à la messe, c’est un assaut de toilettes, comme au Grand Prix de Paris. Veut-on quelques témoignages ? Tarn-et-Garonne : « Le luxe règne dans nos campagnes : il n’y a plus de différence entre la grande dame et l’ouvrière ; toutes deux ont une petite toilette ravissante, et toutes deux ont tort : la plus riche parce qu’elle inspire envie à l’autre, la plus pauvre parce qu’elle dépense, follement et sans compter, l’argent qui serait nécessaire ailleurs... Il serait temps de réagir contre ces fâcheuses tendances qui sont une des principales causes de la ruine de nombreuses familles et de l’immoralité de bien d’autres. » Pusey, Haute-Saône : « Nos modernes paysannes ne se distinguent guère des dames de la ville que par un peu moins de goût... » Nord : La plupart suivent à grands frais la mode de Paris... » Deux-Sèvres : « Le luxe envahit peu à peu la campagne. On aime à s’habiller comme à la ville, et, pour la moindre cérémonie, les hommes endossent l’habit noir, se couvrent d’un haut de forme râpé, et dénudé. » Haute-Marne :