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ensuite leurs patrons. Il y a une autre victime, la liberté ; mais, hélas ! sur cent personnes, quatre-vingt-dix-neuf traitent la liberté du prochain comme Gengis Khan ou Tamerlan traitait ses ennemis. A peine syndiqués, les bûcherons ont cherché à vaincre par la violence la concurrence des ouvriers non syndiqués ; ainsi ils ont imaginé d’imposer aux marchands de bois une double série de prix, l’une applicable aux ouvriers syndiqués, l’autre, inférieure d’un tiers environ, aux ouvriers non syndiqués, le produit de cette taxe de 33 pour 100 devant se partager entre les syndiqués et les patrons. Le syndicat obligatoire ou l’amende au profit du syndicat. Et comme les marchands de bois se syndiquaient à leur tour, on a violé envers les syndiqués la liberté du travail par les procédés connus : ouvriers maltraités, privés de leurs outils, coupes envahies, menaces d’incendies, déprédations dans les bois. Les meneurs distribuent aussi de l’argent pour décider la grève, et les premiers fonds versés pour entretenir celle-ci parmi les bûcherons du Morvan provenaient des mineurs de Carmaux. Résultat de ces manœuvres : beaucoup de marchands empêchés de se porter adjudicataires, ou ne consentant plus à acheter les coupes qu’avec un délai de deux années pour l’enlèvement ; dépréciation de la propriété forestière ; des ‘milliers de bûcherons privés des salaires qui constituent leur principal moyen d’existence. On a proposé force remèdes, entre autres un vaste syndicat des propriétaires forestiers de France, qui, au lieu de vendre les coupes, exploiteraient eux-mêmes leurs bois ; et cela serait bien préférable pour la paix sociale, car les patrons et les ouvriers se rapprocheraient, et s’aimeraient en se connaissant mieux : tel qui se croit séparé de son rival par un océan ne l’est souvent que par un ruisseau. Quant aux bois de l’Etat, le regretté de Maulde demandait que l’administration mît en adjudication à part l’abatage et la façon des coupes ; les syndicats de bûcherons autorisés à soumissionner, exploitant sous la surveillance directe des gardes forestiers, l’Etat vendant ensuite aux plus offrans le bois tout débité. Il faut favoriser avec prudence, avec discrétion, mais avec ardeur, avec ingéniosité, la politique du pauvre homme.

Dans le Centre, la forêt presque seule fournit du travail pendant l’hiver au prolétariat rural ; la loi de l’offre et de la demande, qui est souvent une loi d’airain, sévissait durement, les journaliers, maçons, terrassiers, faisant concurrence aux bûcherons