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VIII
Bataille de Trafalgar.


Nous appareillâmes le 20 octobre 1805 au nombre de 33 vaisseaux, et fîmes route vers le détroit de Gibraltar. L’amiral Nelson, qui croisait avec 27 vaisseaux dans ces parages, fut averti par ses frégates, et, aidé par de légers vents de la partie de l’Ouest, il se mit à notre poursuite. Le 21 dès l’aube les deux escadres eurent connaissance l’une de l’autre, et la bataille parut inévitable. L’amiral nous signala de prendre l’ordre de bataille en ligne de file, les amures à bâbord, afin de ménager aux vaisseaux trop maltraités la possibilité de rentrer à Cadix. Nous virâmes donc de bord et mîmes le cap au Nord. L’Intrépide faisait partie de l’avant-garde commandée par le contre-amiral Dumanoir ; le Bucentaure et la Santissima Trinidad, portant les pavillons des vice-amiraux Villeneuve et Gravina, occupaient le milieu de la ligne de bataille ; l’arrière-garde s’étendait au loin sous les ordres du contre-amiral Magon, qui montait l’Algésiras. Au lieu de prescrire à la tête de l’armée de porter bon plein pour rectifier l’ordre de file, l’amiral signalait sans cesse de serrer le vent ; la brise était très faible, et les mauvais marcheurs tombaient sous le vent, de sorte que la ligne se déformait de plus en plus, et que les vaisseaux se doublaient sur plusieurs points, laissant dans la ligne de vastes intervalles dont les Anglais devaient profiter.

Ceux-ci ne paraissaient d’ailleurs avoir d’autre préoccupation que de pas nous laisser échapper. Leur escadre, divisée en deux colonnes, arrivait sur nous vent arrière, poussée par la brise d’Ouest, et conduite par les vice-amiraux Nelson et Collingwood, dont les pavillons flottaient en tête de chaque file sur les trois-ponts le Victory et le Royal Sovereign.

Cette manière d’engager le combat était contraire à la plus simple prudence, puisque les vaisseaux anglais arrivant sur nous un à un, avec une très faible vitesse, auraient dû succomber en détail devant des forces supérieures, mais Nelson connaissait son escadre et la nôtre ; il se borna à signaler à ses capitaines ces simples mots : « L’Angleterre compte que chacun fera son devoir, » et, sûr que chaque navire irait au feu par le chemin le