Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vapeurs. C’est donc un bon remède à vous enseigner que l’amour et l’amour satisfait. » Bernardin s’est-il vanté ? Nous n’y étions pas et il est toujours délicat de se montrer sûr de ces choses-là. Toujours est-il que Bernardin se rendit promptement insupportable à sa princesse. Il la poursuit d’assiduités compromettantes, qui lui valent un congé vingt fois signifié. Nous avions déjà plusieurs lettres de la princesse à Bernardin, toutes plus désobligeantes les unes que les autres. M. Souriau en publie de nouvelles qui sont exactement de la même encre. Cette sécheresse de ton lui semble la preuve irrécusable que le cœur de Marie Misnik ne s’est jamais ému. Comme il serait plus humain d’y voir l’irritation d’une femme qui, ayant cessé d’aimer, oublie qu’elle ait jamais eu de l’amour, et tient pour injure le souvenir que lui en rapporte une insistance importune ! « Je ne répondrai pas à toutes les choses singulières que vous me dites. Tout raisonnement, tout conseil est inutile avec vous. » Elle n’a qu’un désir, c’est que Bernardin s’en aille : le plus loin sera le mieux. Quand elle le sait revenu en France, elle l’en complimente en des termes dont il est impossible de ne pas goûter l’impertinent persiflage : « Je vous fais des complimens bien sincères sur votre retour dans votre patrie. Avouez que votre âme s’est remplie de joie à la vue de votre pays natal. On s’en plaint souvent, on veut y renoncer, mais on retrouve toujours au fond de son cœur un sentiment qui nous ramène vers cet objet de notre amour. » La jeune Églé s’entendait assez bien à la raillerie. Elle ne fut tout à fait contente que lorsqu’elle apprit le départ de son amant pour l’Ile de France. Bernardin voguait vers les Tropiques : elle sentit qu’à mesure la Pologne devenait pour elle un séjour délicieux.

L’aventure, en dépit de M. Souriau, prêtera longtemps encore à la controverse ; en revanche il en est une autre dont la nature ne laisse aucune place au doute. Les biographes de Bernardin l’avaient ignorée, et elle forme l’épisode le plus piquant du présent livre où elle est contée tout au long. Il faut savourer cette histoire des relations de Bernardin avec l’intendante Poivre ? Lorsqu’il débarqua à l’Ile de France, Bernardin y fut accueilli par l’intendant, homme remarquable quoique affublé du nom de M. Poivre, et qui lui rendit les plus grands services, entre autres celui de l’initier à la botanique. Les notes que préparait Bernardin en vue de la rédaction de son Voyage sont pleines de mentions flatteuses à l’adresse de M. Poivre : elles n’ont laissé aucune trace dans la relation publiée. On s’était demandé d’où venait cette suppression ; et l’on admettait, sur la foi d’Aimé