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nationale, à l’École normale, à l’Institut. Ses fonctions viennent-elles à être supprimées, à son avis, ce n’est pas une raison pour qu’il ne continue pas à en toucher les émolumens. Ce fut aussi l’avis de la Convention, Au surplus, par la suite, cela n’empêchera pas Bernardin de se donner pour une victime de la Terreur et de solliciter, à ce titre, les faveurs du Premier Consul, dont il est vrai de dire qu’il est subitement devenu le partisan le plus enthousiaste.

La connaissance de l’homme que fut Bernardin est surtout pour amuser notre curiosité : ce qui importe, c’est la nature de son œuvre et c’est l’influence qu’elle a exercée. Une partie de cette œuvre est posthume et a été publiée par les soins d’Aimé Martin ; l’éditeur en a usé avec le texte de Bernardin comme on faisait alors ; c’est dire qu’il y a fait toute sorte d’arrangemens et embellissemens. D’ailleurs n’était-il pas de la famille ? Il a tronqué, altéré les lettres dont se compose la Correspondance. Il a corrigé les opuscules inédits. Il s’est surtout exercé sur les Harmonies. Ce livre étant celui dont on s’est le plus servi pour railler Bernardin de Saint-Pierre et l’abus qu’il fait du système des causes finales, il n’est pas sans intérêt de constater que quelques-unes des niaiseries dont il est émaillé sont non pas de lui mais de son éditeur. Toutefois il faut bien reconnaître que la critique a toujours tenu peu de compte des Harmonies dans le jugement qu’elle a porté sur Bernardin : elles ne font en effet que continuer, paraphraser et alourdir les Etudes de la Nature. Entre le Voyage à l’Ile de France, qui est une ébauche, et les Harmonies, qui sont souvent un rabâchage, Bernardin est l’homme d’un seul livre, de ces Études où il a fait rentrer Paul et Virginie et la Chaumière indienne. A coup sûr, il s’y montre savant médiocre et théoricien discutable, il y est pour la cause de la Providence un avocat souvent compromettant et il pousse jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’absurde, la thèse d’après laquelle le sentiment est supérieur à la raison. Mais cette méthode, de peu de valeur pour une apologie, se trouvait être par ailleurs aussi neuve qu’opportune. C’était ramener les esprits à l’émotion religieuse par le chemin de la beauté, et les préparer à goûter l’esthétique du christianisme. Bernardin n’était pas un croyant, s’il n’était pas un athée. Il s’arrêtait au déisme, et il avoue, à l’occasion, qu’il hait fort les prêtres. Aussi le récit d’une visite qu’il avait faite, en 1775, à la Trappe, n’en est-il que plus significatif ; nous y prenons sur le vif l’émotion de l’artiste. Il arrive à la tribune des étrangers dans la chapelle : « Un écriteau y commande le silence, mais il n’en est pas besoin. On y est frappé en arrivant d’une religieuse et profonde mélancolie...