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Les Pères blancs étaient debout dans leurs stalles : au haut des piliers étaient quelques statues de saints habillées comme eux. Les premiers étaient si immobiles qu’on doutait si c’étaient des statues qui étaient dans les stalles ou des moines dans les niches, etc. » Y a-t-il dans cette manière de n’envisager le culte que par son appareil extérieur quelque chose qui choque les âmes vraiment pieuses, et l’optimisme foncier de Bernardin n’est-il pas en contradiction absolue avec le principe même du christianisme ? Il se peut. Toutefois cette religiosité était déjà un soulagement pour tous ceux qui souffraient de la sécheresse du rationalisme et de l’agressive étroitesse de l’irréligion. C’était un acheminement. Aussi ne fut-ce pas seulement parmi les femmes que les Etudes provoquèrent l’enthousiasme : le clergé sui gré à cet allié imprévu. Bernardin gardait toutes les lettres qu’on lui adressait : il y en a dans le nombre d’humbles prêtres qui le remercient du bien qu’il a fait aux âmes ; d’autres émanent des premiers dignitaires de l’Église. C’est, plus de quinze années à l’avance, ce qui devait se reproduire à l’occasion du Génie du Christianisme. Et ainsi se précise la place que tient Bernardin entre Rousseau et Chateaubriand.

Des Études de la Nature se dégageait une esthétique nouvelle. C’était déjà l’exaltation de la sensibilité avec toutes ses conséquences. La tendance à la mélancolie. « Je suis plus ému du coucher du soleil que de son lever. En général les beautés vives et enjouées nous plaisent, mais il n’y a que les mélancoliques qui nous touchent. » Le sentiment du mystère : « Ce ne sont pas les tableaux les plus éclairés, les avenues en ligne droite, les roses bien épanouies et les femmes brillantes qui nous plaisent le plus ; mais les vallées ombreuses, les routes qui serpentent dans les forêts, les fleurs qui s’entr’ouvrent à peine... » Le sentiment de l’infini, grâce auquel « nous aimons à voir tout ce qui nous présente quelque progression ; » c’est lui encore qui se mêle à cette vague tendresse que Bernardin répand sur toute la nature et qu’il y fait flottera l’état de rêverie ; c’est lui qu’il retrouve à la base de ce plaisir que cause la vue des ruines. La description du château de Lillebonne, dans cette douzième Étude, est une eau-forte à la manière romantique. Et c’est ici que nous touchons au mérite essentiel du livre ; plus que dans les idées de système, plus même que dans l’expression des sentimens, il est dans les descriptions, dans l’art de rendre le paysage avec des mots. C’est par là que Bernardin est tout à fait original et qu’il représente dans la suite de l’histoire de la littérature un anneau nécessaire. La transformation