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que celui qui lui incombe. Il l’accomplira, nous n’en doutons pas, et ce sera un bien pour lui. En sera-ce un pour la loi ? C’est autre chose. Peut-être les libéraux du Sénat auront-ils de la peine à faire mieux que ceux de la Chambre, et surtout à obtenir plus.

Quant à cette impatience qu’éprouvent radicaux et socialistes de voir appliquer la loi avant les élections prochaines, que faut-il en penser ? Nous l’avons qualifiée de comédie. Le lendemain du vote de la Chambre, un banquet d’honneur a été donné à M. Briand pour célébrer la grande victoire qu’il venait de remporter, et tous les convives, y compris M. Briand lui-même qui oubliait un peu sa modestie ce jour-là, ont été d’avis que la loi était assez bonne pour qu’on passât sur les imperfections légères qui la déparaient. Le mieux n’est-il pas ennemi du bien ? Le Sénat devait donc voter les yeux fermés. Alors, la loi entrerait tout de suite dans la période d’application, et le pays reconnaîtrait aussitôt que tout ce qu’on a dit des mauvaises intentions de ses auteurs contre l’ÉgUse était pure calomnie. Les électeurs verraient bien que jamais la liberté de conscience n’avait été mieux assurée, plus respectée, et nous serions confondus, nous qui avons annoncé le contraire, ou qui avons du moins émis des doutes sur ce qui arriverait. On nous accuserait d’aveuglement ou de mauvaise foi. Mais nous renverrions ce dernier reproche à nos adversaires, car parler ainsi au pays serait le tromper. La loi, nous l’avons dit, a été faite avec beaucoup d’adresse, en ce sens qu’elle ne doit produire ses effets que peu à peu, lentement, insensiblement. Si la séparation avait été opérée brusquement, de manière à produire, du jour au lendemain, toutes ses conséquences, il y aurait eu révolte générale. Un changement aussi rapide aurait été un cataclysme. Nous ne reprochons pas aux auteurs de la loi d’avoir procédé autrement. Ils ont voulu ménager les transitions, et ils ont bien fait. À quelque point de vue qu’on se place, au leur ou au nôtre, cette méthode était la meilleure. Mais, en l’appliquant, ils ont perdu le droit de dire aux électeurs dès le lendemain de la promulgation de la loi : Vous le voyez, rien n’est changé ! Rien, en effet, ne sera changé dans la forme au premier moment. Les églises, les cathédrales, les presbytères, les palais épiscopaux resteront à la disposition des curés et des évêques. Les traitemens du clergé seront maintenus. On ne s’apercevra de rien. C’est seulement au bout de quelques années qu’on s’apercevra de quelque chose. Alors, quand toutes les conséquences de la loi commenceront à se faire sentir, on commencera aussi à comprendre ce qu’elle est. Mais cela n’arrivera pas aux élections pro-