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sentait en ce moment le minimum d’inconvéniens. M. Kuyper a été toujours l’homme des résolutions promptes et nettes. Battu aux élections, fût-ce dans une proportion très faible, il n’a pas hésité à se retirer.

On peut parler de M. Kuyper avec la sympathie que mérite son caractère, sans partager d’ailleurs toutes ses opinions, et c’est ce que nous avons fait à maintes reprises. Sa ferveur religieuse, servie par une activité et une volonté sans pareilles, lui avaient donné une grande situation dans son Église avant de lui en donner une dans l’État. Arrivé aux affaires, il n’a eu qu’une préoccupation, celle de gouverner au nom et au profit de ses idées religieuses et politiques, les unes et les autres ne faisant qu’un pour lui. Peut-être a-t-il poussé l’union de l’Église et de l’État jusqu’à leur confusion : en tout cas, il a voulu faire et il a fait pendant quatre ans un gouvernement étroitement antirévolutionnaire et chrétien. Il a défini lui-même, un jour, sa conception politique et gouvernementale dans des termes dont la clarté ne laisse rien à désirer : « La majorité parlementaire, disait-il, a pour pivot le parti antirévolutionnaire dont je suis le chef. Les différens groupes de l’opposition ont pour principe directeur de leur politique cette doctrine des philosophes du XVIIIe siècle et de la Révolution française : que l’humanité se suffit à elle-même. Nous autres, protestans sincèrement reUgieux et pratiquans, nous professons qu’au-dessus de l’humanité, il y a Dieu, et qu’en nous inspirant de la morale divine, nous pourrons diriger l’État au mieux des intérêts de tous. Toutes les sectes protestantes en Hollande, malgré les différences des dogmes, ont la même morale religieuse que partagent aussi les catholiques, et c’est sur cet idéal, qui leur est commun, que repose l’entente des diverses fractions de la majorité. » Un homme qui a une foi aussi précise et aussi ferme, et qui estime qu’il suffit de s’en inspirer pour bien gouverner son pays, peut se tromper, mais il met infailliblement dans sa conduite un esprit de suite qui n’a de comparable que sa confiance dans la légitimité du but qu’il s’est assigné. Aussi le gouvernement de M. Kuyper a-t-il été actif et fécond. La Hollande lui doit des lois contre le jeu, l’ivrognerie, la violation du repos du dimanche qui, bien que sévères, et peut-être plus austères encore, méritent une pleine approbation. M. Kuyper s’est trouvé une fois en conflit avec la première chambre. Partisan absolu, non seulement de la liberté, mais de l’égalité de toutes les écoles, qu’elles fussent libres et confessionnelles ou publiques et neutres, il voulait que les premières délivrassent des diplômes qui auraient, aux yeux de l’État,