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Sophonisbe, reine des Numides, qui paya si chèrement la faute d’avoir trahi son époux. Je m’attarde au souvenir de cette aventure, je me la raconte à moi-même, telle que je l’entrevois à travers le récit trop oratoire de Tite-Live, — d’abord parce qu’elle est comme un raccourci énergique de toute la psychologie africaine, et ensuite parce que l’horreur d’un tel drame accompagne tout naturellement l’horreur d’un tel lieu.

Enfin, je ne conçois point Cirta sans Sophonisbe. C’est la silhouette de cette belle jeune femme que j’aperçois toujours, à la pointe de la Casbah, dans l’ombre noire des cyprès, penchée sur la frêle balustrade qui la sépare du gouffre, et attendant, toute tremblante, l’issue de la bataille où se joue sa vie avec le sort de Carthage !

Cette histoire romanesque qui inspira tant de dramaturges, depuis les temps héroïques de la Renaissance et qui fît verser tant de larmes à nos aïeules, — elle est encore dans toutes les mémoires. La princesse carthaginoise qui, après la défaite de son mari Syphax, roi de Cirta, se donne au vainqueur, à ce Massinissa, qui, d’abord, avait été son fiancé ; celui-ci, obligé par les Romains, ses alliés, de leur livrer sa femme ; Sophonisbe suppliant son nouvel époux de la tuer, pour lui épargner cette honte et, peut-être, les pires supplices ; enfin, Massinissa, dans un coup de désespoir amoureux, se décidant à lui envoyer par un esclave la coupe de poison, — toutes les péripéties de ce drame barbare ont été cent fois traitées au théâtre. Mais, comme on le comprend mieux ici, surtout si l’on se rappelle dans quelles circonstances et à quel moment il s’est déroulé !

L’action, qui se développe avec la rapide simplicité d’une tragédie classique, commence dans la dernière semaine de juin et elle est terminée dès les premiers jours de juillet. Elle inaugure, en quelque sorte, la période brûlante de la canicule. Et ainsi ce drame qui se précipite d’une telle impétuosité vers son dénouement et qui est animé d’une telle flamme de passion, se place, comme par une nécessité naturelle, à l’époque la plus torride et la plus turbulente de l’été africain !

En ce temps-là, les guerres, qui étaient beaucoup plus longues qu’aujourd’hui, ne suspendaient que par intervalle la vie