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les grandes déesses, Isis et Nepthys, et les reines d’Egypte, quand elles se font représenter avec les attributs de leurs divines protectrices. Son vêtement consiste en une tunique d’étoffe légère et plissée, que deux fibules maintiennent au-dessous des seins et qui disparaît, à partir des hanches, sous deux grandes ailes de vautour noir croisées pudiquement sur les jambes. La tête est encadrée de longues boucles, les épaules sont dissimulées sous un lourd gorgerin à zones concentriques et brodées. Un voile court, sur lequel s’étale l’épervier solaire accouvé et que surmonte un calathos, recouvre la chevelure frisée au fer, au-dessus des tempes. Etendue dans une pose tout hiératique, cette statue est dorée et peinte de couleurs vives.

Ces deux morceaux qui datent vraisemblablement du IIIe et du IVe siècle, sont d’une extrême importance pour l’archéologie punique. Ils confirment en somme l’enseignement qui se dégage des céramiques, des verreries, des bijoux, des pierres gravées et des stèles funéraires. On finit par croire, en examinant tout cela, que Carthage n’a jamais su s’inventer un style, ni même un costume personnel. Tributaire de la Phénicie et de l’Egypte pendant plusieurs siècles, elle commence, à partir du VIIe, à subir l’influence grecque. Au IIIe et au IVe siècle, c’est un fait accompli : Carthage est entièrement hellénisée ! Voilà ce que Flaubert ne pouvait pas savoir, lorsqu’il écrivit Salammbô. La science de son temps était incapable de le renseigner avec exactitude. Abusé sans doute par Michelet, il a imaginé une ville trop asiatique : c’est la couleur phénicienne qui domine dans son roman. Il y aurait fallu un peu plus d’Egypte et beaucoup plus de Grèce. Peut-être que la Carthage des guerres puniques ne différait pas sensiblement, — du moins pour l’extérieur des mœurs, — de Tarente ou de Syracuse, ou même de la Rome contemporaine. C’est ce que l’on soupçonne déjà à travers les récits de ce Tite-Live si calomnié par les historiens romantiques !

Mais, après tout, l’erreur est superficielle : elle ne concerne que le décor, — où se meuvent d’ailleurs des personnages strictement africains. Là est le grand mérite de Flaubert. Il a créé des êtres qui sont l’expression vivante d’une terre, d’un climat, d’un moment de l’histoire. Peu importent leurs habits, la forme de leurs vaisselles, l’architecture de leurs palais ! L’essentiel, c’est qu’ils soient des Africains. L’Italie et la Grèce pouvaient