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Il croit aux oracles de la science. Il est d’une cuistrerie scientifique qui en devient amusante à force d’ingénuité. Quand il parle de la Science, il en a plein la bouche, et quand il chante ses louanges, c’est avec le lyrisme du pharmacien Homais !

Cet initié de la Grande Déesse cache en lui un cérémoniaire et un sacristain. Il manie avec complaisance les vases sacrés, les effigies et les emblèmes, il se délecte aux singularités de la liturgie, il les décrit copieusement. Sa piété, toute mécanique et grossièrement matérielle, s’apparente à la dévotion espagnole. Il vénère des fétiches, il se couvre d’amulettes. Et ainsi ce prêtre d’Esculape, qui fut comme le chef-d’œuvre de l’Ecole, qui apparut comme un puits de science, comme un virtuose de la parole et un maître du style, ce civilisé opprimé par l’excès même de sa civilisation, est tout près de se confondre avec un Barbare.

Mais ce qui fait de lui un être à part, ce qui le distingue essentiellement à nos yeux, c’est qu’il est, pour nous, l’incarnation littéraire la plus complète de la décadence latine. Décadent, il a été un rhéteur merveilleux. Cela va de soi. Aux époques où l’on ne croit plus à rien et où l’on est tenté de croire à tout, ne fût-ce que par lassitude du scepticisme, où les idées, réduites au simple rôle de jouets dialectiques, ont perdu leur efficace sur les âmes, tout devient naturellement prétexte à rhétorique, depuis les plus hautes spéculations de la métaphysique jusqu’aux règles de la pisciculture, de la vénerie et de l’art militaire. C’est ainsi qu’Apulée a touché à tout, pour le plaisir de dire avec grâce des choses parfaitement inutiles. Il est peut-être le type de rhéteur le plus extraordinaire que le monde ait vu !

Bigarrée, grouillante, chatoyante, odorante, musicale et splendide comme son œuvre si énorme et si complexe, sa langue envahit tous les domaines et tous les bas-fonds du vocabulaire : mots archaïques, jargon du peuple et des faubourgs, néologismes, expressions poétiques, terminologie des métiers, des sciences, des philosophies, des religions, — tous les dictionnaires se sont déversés dans sa prose. Mais elle n’en a pas été submergée. Il a su donner une forme à cette débordante matière, il a inauguré une manière d’écrire véritablement africaine. Tantôt sa phrase a l’allure leste et courante du dialogue familier. D’autres fois, elle se développe par grandes masses symétriques, comme une construction romaine. Ou bien, elle est toute en