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1783 M. Turner à William Hastings dans son rapport sur la mission dont ce dernier l’avait chargé au Thibet, est respecté et obéi dans toute la Tartarie. Son influence s’étend même jusqu’aux extrémités du vaste empire de la Chine. Les Tartares, qui vivent sous des tentes, et les habitans du pays kalmouck et du khumback, accourent en foule pour lui rendre hommage et lui porter leurs offrandes. Le Grand-Lama d’Ourga en Mongolie et le dalaï-lama eux-mêmes ont pour lui la plus profonde vénération et leurs propres sectateurs le regardent comme le chef et le protecteur de leur religion. » C’est à la sublimité du caractère dont il était revêtu que, à cette même époque, le taschi-lama dut d’être sollicité de venir à la cour de Pékin par l’empereur de la Chine, Kien-long, qui désirait ardemment, avant de mourir, contempler dans ses vieux ans le Pontife suprême de l’église jaune bouddhique ; et l’auguste personnage ayant fini par céder aux prières instantes et réitérées de Kien-long, l’empereur, dans un somptueux apparat, entouré de toute sa cour, alla, jusqu’au cœur de la Tartane, attendre le taschi-lama devant lequel il se prosterna et auquel il promit d’accorder tout ce qu’il demanderait, même la souveraineté temporelle sur le Thibet. Le taschi-lama refusa prudemment un tel cadeau ; mais, soucieux de conserver au « Grand Maître spirituel » tout son prestige, le gouvernement de Pékin a toujours veillé à ce que ce dernier ne dépendît point, au point de vue temporel, du dalaï-lama et a laissé sous son administration directe un territoire peuplé d’environ 100 000 âmes autour de Taschi-lumbo et de Chigatsé. Même pour assurer l’égalité de souveraineté temporelle entre le taschi-lama et le dalaï-lama, le gouvernement chinois est allé jusqu’à répartir les kalons ou ministres thibétains et les dapons ou généraux entre ces deux souverains et leurs territoires respectifs.

Il est en outre un fait qui, dans un autre ordre d’idées, est à l’avantage du taschi-lama. Celui-ci, en prenant possession de ses éminentes fonctions, contracte avec la vie un bail de plus longue durée que son collègue de Lhassa. J’ai sous les yeux la liste officielle des taschi-lamas, telle qu’elle est conservée au monastère de Taschi-lumbo, depuis la fondation de ce monastère en 1447, et la liste officielle des dalaï-lamas arrêtée depuis la même époque jusqu’à nos jours. Durant cette période, treize grands-lamas se sont succédé dans le gouvernement de Lhassa, tandis que sept grands-lamas seulement ont occupé le siège de