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que le dalaï-lama reçoit sur un trône haut de deux archines (un mètre quarante), entouré de ses fonctionnaires. Le visiteur passe entre une file de cent hommes armés de fouets, salue selon le rite le dalaï-lama, en touchant trois fois la terre avec le front, et, se relevant, contemple « la face lumineuse du Pontife divin[1], » incarnation sur terre d’Avalokitçavara, fils spirituel d’Amithaba.


III
L’influence russe à Lhassa.

Mais c’est en vain que le Thibet s’est fait un rempart de son immobilité et qu’il a défendu jalousement l’accès d’un pays, devenu une sorte d’immense monastère. Toutes les nations du globe, grâce à la multiplication et à l’amélioration des voies de communication, sont rendues aujourd’hui solidaires les unes des autres et il devient de plus en plus difficile à une fraction du genre humain, quelque humeur chagrine ou craintive qu’elle ait, de maintenir son isolement. Tôt ou tard, il était inévitable que l’étrange tabou dont les Thibétains se sont entourés fût levé. L’heure où les barrières tombent, où les voiles s’abaissent, et où la nation la plus obstinément isolée voit se rétablir les contacts et les rapports naturels a enfin sonné pour le Thibet.

Et c’est même le gouvernement de Lhassa qui a eu, en ces derniers temps, et sous la pression de récens événemens, l’initiative de cette révolution. Devenus maîtres, en 1888, du Sikkim et n’ayant plus entre eux et le Thibet aucun État indigène indépendant, les Anglais ont enfin jugé le moment venu d’appliquer la dernière partie du programme adopté par la Compagnie des Indes à la fin du XVIIIe siècle, d’en revenir à la politique inaugurée par Warren Hastings et d’implanter définitivement leur influence au Thibet. C’est ainsi que par la convention du 17 mars 1890, conclue avec la Chine suzeraine, agissant pour le gouvernement de Lhassa, la Grande-Bretagne s’était réservé de faire déterminer par des commissaires spéciaux la frontière commune entre l’Inde el le Thibet et de discuter ultérieurement les questions relatives à l’établissement de facilités pour le

  1. . Nazounoff, Récits de voyage au Thibet. — Tour du monde, 1904.