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commerce sur la frontière et la méthode suivant laquelle devraient s’effectuer les communications entre les autorités anglaises de l’Inde et celles du Thibet ; et que, par l’accord du 5 décembre 1893 signé à Darjeeling, elle avait fait stipuler qu’un marché commercial serait établi à Yatoung ; que les sujets anglais se livrant à des opérations commerciales en cette localité pourraient circuler entre la frontière et ce point, et que les dépêches du gouvernement de l’Inde au résident impérial chinois du Thibet seraient remises à l’agent chinois de la frontière, qui les ferait parvenir à destination. C’était exactement ce qu’avait obtenu, il y a un siècle, Warren Hastings, de l’empereur de Chine par l’intermédiaire du taschi-lama. En même temps, le gouvernement de l’Inde cherchait à renouer avec le taschi-lama actuellement régnant les relations d’amitié qui avaient existé au XVIIIe siècle entre le souverain de Taschi-lumbo et la Compagnie des Indes. C’est ainsi qu’en 1878, le lama Ugyam-Gyatso fut envoyé auprès du taschi-lama sous prétexte d’offrir des présens à ce prince, et qu’en 1879, le pandit Sara-Chandra-Dass fut chargé d’une mission secrète à Taschi-lumbo où, pour se mettre mieux à couvert contre les défiances des mandarins chinois, il se fit inscrire pendant son séjour comme étudiant en théologie avec l’autorisation du Panchen-Rimpoché.

Mais, ouvrir le Thibet au commerce britannique, c’était renverser la barrière maintenue avec tant de soin par le gouvernement de Lhassa entre le peuple thibétain et les étrangers ; cultiver l’amitié du taschi-lama, c’était intervenir dans une querelle déjà ancienne, froisser personnellement le dalaï-lama et susciter la défiance de Lhassa. Ceux qui ont étudié de près la politique intérieure thibétaine savent en effet qu’une union bien étroite n’a jamais existé entre les deux grands chefs spirituels du Thibet. Incarnation divine d’Amithaba, propre compagnon de Bouddha, le Panchen-Rimpoché a toujours prétendu, vis-à-vis du dalaï-lama, simple incarnation d’Avalokitçavara, disciple d’Amithaba, à toute la supériorité du maître sur le disciple. Il se considérait même comme le Père spirituel de ce dernier et aurait voulu exercer, en matière religieuse, l’autorité du père sur le fils. Il regardait aussi, au point de vue temporel, comme un usurpateur le souverain de Lhassa, lequel, avec l’appui de l’étranger, avait acquis la plus grande partie du Thibet, qui aurait dû rester soumise à ses maîtres légitimes, les souverains de Taschi-lumbo.