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visite à l’empereur Guillaume, qui faisait une croisière dans les mers du Nord et se rapprochait des côtes russes pour faciliter l’entrevue. L’affaire a été combinée entre les deux empereurs dans un si grand secret que M. Witte lui-même n’en a rien su et s’en est montré le premier surpris à son arrivée à Paris. Elle a été démentie jusqu’à la dernière minute et même après. Que se sont dit les deux souverains ? C’est un mystère encore plus profond que le premier, et nous ne chercherons pas à le percer. Mais il est à nos yeux hors de doute, en dépit des assurances et des protestations contraires de la presse allemande, que l’initiative de ce coup de théâtre est venue de l’empereur Guillaume. Pourquoi serait-elle venue de l’empereur Nicolas ? Il n’avait rien à y gagner et il pouvait même craindre, en s’y prêtant, de jeter sur sa politique extérieure un peu de l’équivoque qui caractérise déjà sa politique intérieure. L’entrevue de Bjœrko et le voyage de M. Witte à Paris ont effectivement une apparence contradictoire. Enfin, toute cette mise en scène porte la marque personnelle de l’empereur Guillaume. Il a désiré, suggéré, proposé la rencontre, et dès lors nous pensons avec la Novoïé Vrémia qu’il aurait fallu des motifs extraordinairement graves pour la décliner. Qui ne se rend compte des difficultés redoutables avec lesquelles la Russie est aux prises, et de l’obligation pour elle de tout ménager ? Aucune bonne volonté n’est négligeable pour elle dans la situation où elle se trouve, non seulement au dehors, mais au dedans. On ne saurait oublier que l’Allemagne est sur la frontière russe et qu’elle peut influer par là d’une manière très sensible sur certains mouvemens qui s’y produisent.

C’est pour ces motifs, et pour quelques autres encore, sans doute, que l’empereur Nicolas est allé à Bjœrko. L’histoire seule pourra peut-être un jour dissiper les obscurités qui enveloppent l’événement : pour aujourd’hui, les hypothèses qu’on pourrait faire ne reposeraient sur rien ; il est donc plus convenable de s’abstenir d’en former. Tous ces mouvemens ont vraisemblablement un objet unique, le rétablissement de la paix, et la paix en Extrême-Orient serait un si grand bien pour tout le monde que l’attente où nous en sommes n’est pas sans angoisse. Ce n’est pas seulement à son pays que M. Witte est appelé à rendre un immense service.

FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.