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un laissez-passer qui lui permit de promener en ville son humeur contenue et ses réflexions mélancoliques.

Sa correspondance n’était pas mieux traitée que ses visiteurs. Nulle lettre, nul télégramme, même de son ministre, ne lui arrivaient sans avoir été lus et visés par l’un des présidens. Si la correspondance avait un intérêt politique, elle était lue en séance ; le Comité en délibérait et décidait si elle serait livrée au destinataire. Mais l’autorisation du Comité ne suffisait pas toujours à assurer la transmission du courrier préfectoral ; des gardes nationaux, triés parmi les plus purs, formaient à l’Hôtel de Ville une sorte de garde prétorienne : chargés du service du Comité, ils ne craignaient pas d’en réviser les décisions quand elles lui paraissaient entachées de tiédeur ou de faiblesse, et d’intercepter, dans l’intérêt supérieur de la République, les dépêches qu’ils avaient mission de porter au préfet.

Challemel voulut s’en ouvrir au citoyen Varambon, membre du Comité, qu’on lui avait représenté comme un esprit sage et pondéré, fourvoyé dans la bagarre révolutionnaire par l’impulsion des circonstances, mais plutôt enclin à servir la cause du pouvoir central contre les usurpations de la Commune.

Le procès-verbal de la séance du 6 avril contient le passage suivant : « Un huissier vient, de la part du préfet, demander le citoyen Varambon. Plusieurs citoyens désireraient que le citoyen Varambon ne s’absentât point pour aller communiquer avec le délégué. Il est établi que le citoyen Varambon est libre. » Au risque de tomber en suspicion, Varambon eut le courage d’user de la liberté qui lui était reconnue. Il conféra longuement avec Challemel, tandis que le citoyen Barodet lisait un rapport sur « une balle nouvelle pouvant tuer cinq hommes à la fois, » et sur « un plastron en cuir, formé de spirales, capable de rendre inoffensives les balles. »

Varambon rentre en séance et le procès-verbal continue : « Le citoyen Varambon expose que le préfet est profondément peiné de la position qui lui est faite ; il se considère comme prisonnier ; il ne peut voir personne ; ses dépêches lui arrivent ouvertes ; il ne peut s’expliquer qu’on le laisse dans cette situation. »

En diplomate habile, Varambon déclare que le préfet va publier « une proclamation vigoureusement républicaine. » Le préfet a vu le général ; il a obtenu que « la poudre et les balles seront distribuées aux gardes nationaux. » Varambon estime