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initiative : les mandarins n’ont-ils pas intérêt à conserver des abus dont ils vivent et la dynastie mandchoue ne se maintient-elle pas uniquement grâce à la corruption officielle et à l’ignorance systématique qu’elle favorise ? La réforme nécessaire ne peut donc venir que d’un coup de force appuyé par les étrangers ; Sun-Yat-Sen, depuis 1895, déploie une énergie et une activité extraordinaires à préparer ce coup qu’à trois reprises déjà il a vainement tenté de faire réussir. Au dehors, Sun trouve un appui efficace et une aide pécuniaire parmi les Chinois enrichis qui vivent à l’étranger ; gros « compradores » de Hong-kong, « babas » de Singapour et des Straits-Settlements, négocians ou banquiers de Java, des Philippines, du Japon, des Sandwich ou de San-Francisco. Au dedans, il recrute ses bandes de partisans parmi les affiliés des Triades. Cette puissante société secrète remonte au milieu du XVIIe siècle, au temps où la Chine méridionale se souleva contre les empereurs mandchoux qui venaient de supplanter la dynastie chinoise des Ming ; la résistance, étouffée dans le sang, se prolongea par les sociétés secrètes, et les haines chinoises contre le joug étranger restèrent vivaces : en 1806, c’est le Fo-kien et le Kouang-toung qui se révoltent ; en 1860, éclate l’effroyable insurrection des Taï-Ping qui reste durant plusieurs années maîtresse de toute la Chine du Sud. Les Triades continuent, avec la ténacité indomptable de la race, la tradition antidynastique des Taï-Ping ; leurs bandes armées sont actuellement maîtresses du Kouang-si septentrional et de quelques cantons du Koui-tcheou et du Yun-nan, et ce sont elles qui fournissent à Sun-Yat-Sen les troupes de partisans avec lesquelles, à trois reprises, il a tenté un coup de main sur Canton ; à la fin de 1902, le chef des Triades, IIung-San-Tsien-Tsoeï, descendant de l’ancien chef des Taï-Ping, est, dit-on, venu à Hong-kong pour s’y aboucher directement avec Sun-Yat-Sen. Les bandes rebelles, qui tiennent la campagne dans le Kouang-si, paraissent donc être d’accord avec les révolutionnaires : elles reçoivent par leur intermédiaire des armes et des munitions ; elles sont prêtes à accourir à leur appel.

Les révolutionnaires comptent sur les sympathies de la colonie anglaise de Hong-kong où ils ont toujours rencontré des sentimens bienveillans et quelquefois même une aide efficace. Le rocher de Hong-kong est attaché au flanc de l’immense Chine comme un brûlot au flanc d’un vaisseau de haut bord :