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d’objection personnel, il y a longtemps que j’ai fait la détermination de ne faire ménage avec personne. — Je suis aussi très persuadée que si vous quittiez votre famille et votre pays, la nôtre ne vous conviendrez gueres, même si vous avez de la fortune qui suffirait pour vous y établir. J’y vis très modérément et sans les aisances que je désirerais à ma fille. Tout est sur un autre pied que sur le continent et je vous assure qu’un jeune homme sans emploi et avec peu de fortune ne pourrait pas vivre du tout convenablement en Angleterre, et n’y serait pas heureux. Après cette explication, je me repose avec confiance que cette affaire n’ira pas plus loin.

Je suis, monsieur,

avec beaucoup de considération, etc.

C. BIRCH.


Le double refus était aussi net et d’ailleurs conçu en termes aussi désobligeans qu’il était possible. A la demande si courtoise du père, à la lettre si pleine de déférence du fils, Mme Birch répondait avec une sécheresse et une raideur plus que britanniques. Il n’y a qu’un mot qui serve : elle les envoyait promener. Pour couper court, elle était partie brusquement, emmenant sa fille.

On vient de voir sur quel terrain elle avait tout de suite placé la question. En personne pratique, elle ne doutait pas qu’on n’en voulût à sa fortune ; elle s’était donc empressée de déclarer, ce qui au surplus était exact, qu’il s’en fallait qu’elle fût riche. De même, le véritable obstacle au projet d’union était pour elle, beaucoup plus que la différence de religion et de pays, la quasi-pauvreté du jeune homme. Passe encore pour un gendre catholique et français ! Mais qu’il fût sans emploi et sans fortune, c’était le défaut impardonnable. Hélas ! c’était aussi l’objection sans réplique. Lamartine, qui ne s’était pas trompé à la nature de l’opposition de sa future belle-mère, essayait bien, dans la lettre qu’il lui écrivit pour plaider sa cause, de dissiper ses craintes sur ce point précis. Mais combien son argumentation est faible ! Il n’ose pas même faire entrer en ligne de compte la perspective d’un poste diplomatique : il a trop de fois vu s’évanouir ce poste fantôme ! Il essaie seulement d’établir un budget de quelque apparence : son père lui cède une terre habitable et d’un revenu suffisant pour vivre en France, deux de ses tantes y ajoutent une somme en argent[1]. Toutefois, il était obligé de convenir, à part lui, que la situation était des plus précaires et,

  1. Lettre du 28 octobre, Mâcon, à Mme Birch.