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langue et s’en sert pour nous invectiver, sans que la pensée nous vienne d’en faire un grief à ce misérable corps sans âme.

Un autre cottage, les stores du bow-window sont baissés. Ma petite compagne devient soucieuse : est-ce que l’enfant serait mort ? Une femme vient ouvrir, elle paraît dix-neuf ans à peine… Oui, le petit est mort ! C’est le quatrième qu’elle perd, sur cinq. Nous sommes entrées dans le pauvre « parlour. » Sur un petit lit, dans un coin de la pièce assombrie, il est là, enroulé d’un vieux lange, et ce lange enlevé avec respect nous laisse voir un piteux cadavre d’enfant de quelques mois, le masque défiguré par la mort. La mère ne lui a pas fermé les yeux… ils nous regardent, hagards, et la mâchoire qui pend ajoute encore à l’impression d’horreur… Doucement, tendrement, la petite nurse prend le mouchoir que j’ai plié d’instinct pour cet usage et vite elle efface le rictus de cette pauvre bouche.

La mère a disparu, appelée par les cris de l’enfant qui lui reste. Celui-là a encore besoin d’elle, pauvre survivant trop chétif… Et, tout en continuant d’aider la jeune sœur, je lui demande quel mal les a enlevés tous ? — « Oh ! me répond-elle, ils dépérissent quelque temps, puis ils meurent. C’est très fréquent par ici. — Mais quel lait a-t-il bu, ce dernier-né ? — C’est sa mère qui l’a nourri jusqu’au bout. » Cette chétive créature a nourri son cinquième, et sans aide : qu’on s’étonne du taux de la mortalité infantile, avec un tel état de choses, avec le manque de consultations externes et gratuites, ces postes de secours et d’enseignement qu’il est indispensable d’établir dans les milieux populaires pour éviter les délits d’ignorance et les conséquences de misère.

Un autre cottage à présent, une petite chambre. Un ouvrier couché sur un lit misérable, perclus de rhumatisme articulaire aigu. L’homme est veuf. Un enfant de onze ans est son garde-malade. La nurse vient chaque matin depuis qu’elle a eu connaissance du cas. Près du lit, le petit garçon fixe des yeux anxieux sur son père. Il y répond avec tendresse : « Ah ! il m’a bien soigné, allez, pendant les dix jours que nous étions seuls, avant que vous veniez. C’est, si bon d’être « chez soi, » avec les siens… Je n’aurais pas voulu entrer à l’hôpital ! »

Et il me revient en mémoire, le cri éloquent de cet ouvrier écossais venu à Londres, et qui résumait ses impressions dans une lettre citée par lord Roseberry : « Londres est un lieu