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interparlementaire de Budapest, en 1896 : « On voit le mal qui subsiste ; on ne voit pas le mal qui a disparu… Si, sur cinq guerres, vous en avez évité seulement deux, quel service n’avez-vous pas rendu à l’humanité ! »

Je m’arrête. J’aurais, sans épuiser, bien s’en faut, mon droit, je pourrais dire mon devoir de réponse, bien des doutes à vous soumettre encore, et bien des questions à vous poser.

J’aurais à vous demander d’abord si c’est une politique bien prudente, à ne la considérer qu’au point de vue matériel, que cette politique de bêtes de proie, glorifiée à toute heure par les apologistes de la guerre, qui se représente les intérêts et les droits des nations comme naturellement et nécessairement inconciliables, et ne conçoit pour elles d’autres moyens d’agrandissement que l’abaissement et la ruine des autres nations.

J’aurais à vous demander si vous êtes bien sûr que, de ces habitudes de malveillance, d’envie et de mépris à l’égard de ceux que nous appelons des étrangers et des ennemis, nous ne sommes pas conduits, plus ou moins fatalement, à des sentimens également injustes à l’égard de nos compatriotes ; et si cette lutte des classes qui vous attriste et vous alarme comme nous, monsieur, et que comme vous nous combattons, n’est pas la contre-partie et la conséquence de cette lutte des nationalités que vous encouragez.

J’aurais à vous demander s’il n’y a pas, à votre avis, un autre idéal à proposer aux collectivités aussi bien qu’aux individualités ; et si l’émulation généreuse qui les porte à se surpasser par le travail, par la science, par les lettres ; si cette pénétration mutuelle et féconde qui nous fait tour à tour les obligés et les bienfaiteurs les uns des autres n’est pas une forme de développement, d’expansion, j’oserai dire de conquête plus réelle et plus sûre que la sanglante et incertaine expansion par les armes. Ce ne sont pas seulement les économistes, que vous n’aimez guère, monsieur, c’est l’Évangile, que vous aimez, et moi aussi, qui nous l’enseigne ; je vous demande pardon de vous le rappeler. « Heureux les pacifiques, car ils seront appelés enfans de Dieu, » dit-il. Voilà pour ceux qui regardent plus loin et plus haut que leur demeure actuelle et l’heure présente. « Ce sont les pacifiques qui posséderont la terre : » PACIFICI HÆREDITABUNT TERRAM, ajoute-t-il. Voici pour ceux que préoccupe le souci de la prospérité d’ici-bas. Et pourquoi ? Parce que la justice est, quoi qu’on en dise, la souveraine légitime de ce monde, et que la force, comme l’a dit Mirabeau, n’en est que le tyran. L’une fonde ; l’autre renverse.