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pour protester contre les iniquités et l’impunité du Sultan. C’est donc que j’ai fait mieux que d’y penser.

En Extrême-Orient, comme en Orient, le péril et l’iniquité sont l’œuvre de l’Europe, le résultat de la division, de l’anarchie européennes. Mettez fin à cette anarchie et vous mettrez fin au désordre. Les Japonais et les Chinois vivront en bonne intelligence avec les grandes Puissances européennes et américaines, quand ces grandes Puissances se seront mises d’accord pour respecter le droit d’autrui, et comprendront que la violence est une complication et non un remède. De même le Sultan exécutera le traité de Berlin quand il verra les signataires de ce traité se mettre d’accord pour l’y contraindre, exercer leur droit, leur devoir de police. La question d’Orient et le Péril Jaune sont parmi les principaux argumens à invoquer en faveur de l’Union européenne et non pas contre. C’est aussi par là que j’ai commencé.

Mais cette Union européenne, dites-vous, il faudra la diriger contre l’Amérique, contre l’Asie ; ce sera la guerre agrandie, mais toujours la guerre, et la guerre plus que jamais ! — Vous oubliez que l’Europe unie devra nécessairement modérer, contrôler son action lointaine ; elle ne pourra plus se lancer aveuglément dans l’engrenage des aventures ; une expédition risquée, suivie d’abus, de complications scandaleuses, soulèvera de l’opposition dans l’opinion non seulement d’un pays, mais de plusieurs pays ; peu à peu les trois continens d’Europe, d’Afrique et d’Asie finiront ainsi par s’équilibrer ; tous ont intérêt par conséquent à voir l’Europe s’organiser au lieu de se laisser aller à la remorque et au hasard des circonstances. L’Union européenne ne se fera contre personne ; elle se fera dans l’intérêt de tout le monde ou elle ne sera qu’un simulacre, un remède pire que le mal.

Quand les Russes et les Japonais auront conclu la paix, cette paix pourra parfaitement se transformer en un accord auquel la France, l’Angleterre et d’autres Puissances souscriront. L’avenir est à ces ententes générales, malgré tous les obstacles que vous énumérez et bien d’autres inévitables.

En quoi la question d’Autriche sera-t-elle résolue par votre anarchie européenne ou par la guerre, essayez donc seulement de l’indiquer ? Au lieu de compter sur ces expédiens de joueur, sur ces ressources désespérées, n’est-il pas plus sage de préparer, dès maintenant, entre les Puissances intéressées, une entente fondée sur des concessions mutuelles et qui, par suite, ait chance de durer ? Ne voyez-vous pas, par tous les exemples récens et par celui-là même de la