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l’année 1831. Tantôt Gœthe, pour retenir près de lui le précieux Eckermann, lui promettait une place à la bibliothèque de Weimar ; tantôt il consentait à revoir et à corriger le manuscrit de ses Entretiens, et lui laissait espérer qu’un jour ou l’autre, il l’autoriserait à le publier, — après la publication de sa Correspondance avec Schiller, ou bien après l’achèvement d’une nouvelle édition de ses œuvres complètes ; tantôt, pour ne point paraître lui dérober tout son temps, il lui commandait quelque petit poème de circonstance, et lui affirmait ensuite, imperturbablement, « qu’il possédait à la fois la hardiesse de lord Byron et son calme, à lui Gœthe. » Lorsque des journaux demandaient à Eckermann sa collaboration, Gœthe, avec une sollicitude infiniment ingénieuse, lui démontrait que de telles besognes étaient indignes de lui ; et le jeune homme, à son tour, le démontrait longuement à sa fiancée. Il expliquait aussi à sa fiancée, dans chacune de ses lettres, les avantages merveilleux qu’il retirerait, plus tard, de cet apprentissage littéraire, que lui enviaient tous les jeunes écrivains allemands. « Que j’occupe encore pendant un an cette situation privilégiée, — lui écrivait-il le 18 octobre 1828, — et je deviendrai une puissance, et l’on me fera des offres de Berlin, de Munich, Dieu sait d’où ! » Et quand Jeanne Bertram lui apprenait qu’une place était vacante, de nouveau, aux Archives de Hanovre, il répondait que le fils de Gœthe lui avait affirmé qu’il commettrait une grosse faute en s’abaissant à solliciter un pareil emploi. « Et je dois dire que, cette fois, je suis forcé de lui donner entièrement raison. »

Avait-il donc cessé, au secret de son cœur, d’aimer la jeune fille qui depuis dix ans l’attendait et ne vivait que pour lui ? Non, ses lettres, par leur fréquence même, suffiraient à nous prouver qu’il l’aimait toujours. Et il n’était point sans se rendre compte de ce qu’elle souffrait ; et il souffrait aussi, et ses plaintes ont un accent de sincérité, qui, parfois, les rend presque aussi touchantes que celles de sa chère Jeanne. Mais avec tout cela sa vanité, à Weimar, trouvait tant de satisfactions, et de si faciles et de si agréables, qu’il sentait bien que jamais il n’aurait la force de renoncer à elles. Les attentions dont on l’entourait lui faisaient tant de plaisir que, le plus ingénument du monde, il se figurait que sa fiancée aurait de quoi y prendre, tout comme lui, le courage d’attendre et d’oublier ses peines. Si bien qu’il allait jusqu’à lui faire part des « billets doux » qu’il recevait des visiteuses de Gœthe. « J’ai à la Cour, lui écrivait-il, une jeune amie que je vais voir, de temps à autre, au château. C’est une dame d’honneur de la princesse : une personne de haut rang, de