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inégalités devra les accuser encore davantage. L’honnête ouvrier qui saisit ainsi au passage une modeste aubaine, s’élèvera sans doute d’un degré au-dessus du prolétariat misérable. Quant à celui qui a renoncé au pain gratuit pour de l’eau-de-vie payée sur le produit de ce trafic, il descend encore plus bas, et il s’enfonce de plus en plus dans le bourbier d’où l’on tentait de le faire sortir.

Il se passe quelque chose d’analogue pour les cantines scolaires, au moins dans les grandes villes. Des instituteurs de Paris me l’ont dit plus d’une fois : pour l’enfant paresseux, déjà dressé au vagabondage et aux habitudes malsaines, la jouissance de la cantine est une sujétion importune ; car il faut qu’il reste là, et le repas, si court soit-il, est encore un peu une prolongation de l’école et de sa discipline insuffisamment adoucie. S’en aller à l’aventure sous prétexte de rentrer chez ses parens, aviser quelque terrain vague entouré de planches ou quelque maison en construction, s’y cacher à deux ou trois pour y manger à la dérobée ce qu’on a peut-être volé à un étalage, voilà qui est d’un ragoût mieux apprécié. Encore une fois, il n’y a pas à regretter que la cantine profite mieux aux enfans des meilleures familles et que le fardeau de ces dernières en soit allégé d’autant. Mais ici encore, la façon d’user ou de ne point user du secours offert creuse un peu plus le fossé qui sépare les classes honnêtes de celles qui ne le sont pas, et pour lesquelles il faudra bien penser à la répression, un jour ou l’autre.

On a fondé en maint endroit des écoles particulières pour les enfans en danger de mal tourner ; et en plus d’un pays le luxe qu’on met dans certaines formes d’assistance, quand elles ne coûtent rien qu’au budget, a transformé ces écoles en des séjours privilégiés. Un enfant, arraché à la misère, y coûte autant qu’un pensionnaire d’Henri-IV ou de Louis-le-Grand. Qu’arrive-t-il ? Qu’ici aussi des familles qui n’ont pas trop de préjugés et qui calculent, flairent de ce côté une éducation gratuite et productive. Elles s’ingénient à y faire admettre leurs enfans pour qu’ils y deviennent de bons menuisiers, de bons serruriers, de bons mécaniciens ; elles usent de la politique électorale pour obtenir de leurs représentans ou de leurs comités des recommandations qui les exemptent de la pension réclamée, en principe, aux parens capables de payer. Quant aux enfans plus exposés pour lesquels ces maisons paraissaient faites, ils en sont peu à peu éliminés, ne fût-ce que par l’invasion des autres. La fausse philanthropie